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[ENTRETIEN ]: Philippe ENTREMONT un jeune pianiste de 85 ans !

 

Philippe Entremont un pianiste et chef d’orchestre français de tous les superlatifs ! Il a été lauréat des plus grands concours internationaux (Reine Elisabeth à 16 ans), a donné plus de 6 000 concerts à travers le monde, a été considéré comme le plus grand pianiste de sa génération, signe avec des sonates de Beethoven son 265ème enregistrement (un record), des oeuvres qu’il grave pour la première fois. Il n’est pas exagéré de parler à son égard de légende vivante tant pour sa carrière de pianiste, que pour celle de chef d’orchestre dont il a dirigé les plus importants à travers le monde, en tant qu’invité, permanent et même à vie, comme à l’Orchestre de Chambre de Vienne ou l’Orchestre Symphonique de Munich. Signe de sa jeunesse, il a formé et dirige l’Orchestre des élèves de l’ École Normale de Musique.

Le 7 juin 2019 il célébra son 85ème anniversaire. Ce jour là on a pris un café à deux pas de chez lui et on a parlé de choses et d’autres juste pour le plaisir de se revoir. Nous l’avions rencontré lors de la sortie de son livre il y a déjà quatre ans – voir l’entretien de juin 2015 – il n’a pas perdu de sa vivacité d’esprit, de sa lucidité sur l’environnement musical d’aujourd’hui et il est toujours aussi gourmand de la vie qu’il croque à belles dents.

Vous allez toujours de l’avant puisque vous venez de faire un 265ème disque.

Il ne faut jamais s’arrêter ; tant que je trouverai des gens qui sont prêts à m’enregistrer et que je peux encore jouer bien.

Vous avez enregistré quelques sonates de Beethoven, est-ce par rapport aux 250 ans de sa naissance ou simplement une coïncidence ?

Non, ce n’est que pure coïncidence, c’est quand même le père de la sonate…et les jouer c’est somptueux.

Lorsque l’on reprend des œuvres comme celles sur votre disque a-t-on des options différentes selon son âge ?

Il n’y a pas d’âge…J’ai réenregistré des compositions avec de nombreuses années d’écart, Ravel par exemple, les enregistrements sont toujours différents parce qu’on ne joue jamais deux fois de la même manière mais la base elle est là ; pour revenir aux sonates, dans la deuxième par exemple, c’est paradoxalement différent et pareil…je ne sais pas si vous comprenez ?

Philippe Entremont plays Beethoven  – Jean-François Robin –

  • Sonate n° 20 en sol majeur
  • Sonate n° 14 en ut dièse mineur (Clair de lune)
  • Sonate n° 30 en mi majeur
  • Sonate N° 23 en fa mineur (Appassionata)

CD Solo Musica (Sony Music)

Philippe Entremont vient d’enregistrer quelques unes des sonates de Beethoven les plus connues. Il n’a rien perdu de son énergie, de son phrasé et de la virtuosité indispensable à l’exécution de ces œuvres.Bien que nous les ayons entendues et réentendues, il faut toujours les écouter comme s’il s’agissait de la première fois. Dès les premières mesures , nous voilà propulsés dans un nouveau voyage, Philippe Entremont nous embarque dans les passions de Beethoven, sa violence et son contraire, une grâce aérienne du sentiment romantique. Tout ce que nous avons envie d’entendre, aussi bien dans l’Apassionata que dans la Sonate au Clair de lune ou dans la courte sonate en sol majeur op.49. Elles revivent sous les doigts de Philippe Entremont avec un brio incomparable. Que demander de plus ?) 

Selon le moment de l’enregistrement on peut avoir un autre état d’esprit non ?

Non moi je suis du matin, du soir, mais pas de l’après-midi.

Enregistrez-vous une œuvre dans son entier ou bien par petit bout ?

J’ai connu les deux ; j’ai extrêmement souffert quand j’ai enregistré l’intégrale des concertos de Haydn ; l’ingénieur du son était un maniaque et voulait enregistrer mesure par mesure, ce qui me rendait fou ! J’ai connu l’époque où s’arrêter ce n’était pas bon, le collage n’était pas parfait ; j’aime bien les prises entières, et en faire pas plus de deux.

Et l’enregistrement en direct ?

C’est très bon, il y a des prises de concert en direct qui sont remarquables, mais moi j’oublie que je suis en studio.

Lorsque vous jouiez avec Ormandy, vous m’aviez dit qu’il enregistrait énormément.

On enregistrait très vite avec Ormandy ; on jouait l’œuvre que nous allions enregistrer quatre fois avant, en concert, puis on l’enregistrait; il y avait très peu de coupure.  Je me souviens avoir enregistré les Variations sur un thème de Paganini de Rachmaninov en une heure et dans l’après midi le Deuxième concerto de Saint Saëns !

Vous les aviez beaucoup travaillés avant je suppose?

Comme d’habitude, pas plus.

C’est à dire ?

Je n’ai jamais été un grand travailleur, passer huit heures par jour au piano, ce n’est pas mon truc, je travaille trois heures très bien, après j’arrête…

Il y a des pianistes qui passent beaucoup de temps à lire la partition qu’en pensez-vous ?

Au piano je ne le fais pas trop, par contre comme chef d’orchestre, je lis énormément la partition, je la connais parfaitement.

Où en êtes-vous avec l’Orchestre de l’École Normale ?

Ça marche très bien, on a fait quatre ou cinq concerts, l’orchestre a fait d’énorme progrès, j’ai recruté des pupitres qui venaient de l’Est ; le prochain concert sera en avril 2020 et pour la première fois on va enfin sortir des murs de l’École Normale que je réclame à corps et à cris.

Où allez-vous jouer?

Je ne sais pas encore.

Et le programme ?

Je n’ai pas encore décidé, je prendrai que des cordes car elles sont formidables. Je ne ferai pas de concerto car je n’ai pas mon mot à dire sur le soliste, on me l’impose. S’il me plaît ça va, si c’est le contraire que dois-je faire ? Pour faire un concerto de Mozart c’est très délicat. Il y a une œuvre pour piano que j’aurais aimé diriger ce sont les Quatre tempéraments pour orchestre à cordes et piano d’Hindemith .

Elle est peu jouée.

C’est magnifique, c’est Clara Haskil qui en est la dédicataire, mais comme je ne peux pas choisir le soliste je ne dirigerai pas cette magnifique composition.

Est-ce qu’à votre âge on fait un bilan sur sa carrière ?

J’ai mon futur derrière moi ! Elle est longue mais elle continue.

Allez-vous au concert ?

Bien sûr, cela m’arrive souvent.

Sachant que vous avez la dent dure qui avez-vous apprécié dernièrement ?

Non je n’ai pas la dent dure, j’ai la dent juste ! C’est tout à fait différent ; je ne dénigre jamais, quand je n’aime pas je n’en parle pas.

Avez-vous entendu des orchestres, des solistes, qui vous ont plu dernièrement ?

Des orchestres, oui ; je trouve qu’ils ont fait d’énormes progrès; pendant des années j’ai connu cinq grands orchestres aux Etats Unis, de grande volée, aujourd’hui il y en a plus de cent acceptables, la même chose en Europe.

Il paraît que les japonais ont d’excellents orchestres, qu’en pensez-vous, puisque vous avez travaillé avec eux.

Je les admirais beaucoup, ils travaillent dans des conditions difficiles ; qu’ils existent encore je me demande comment ils font ; je ne parle pas de l’orchestre de la NHK qui est un orchestre totalement à part, de culture allemande, avec lequel j’ai fait pas mal de choses, mais je ne dirai pas que ce sont d’excellents orchestres, ils sont bons.

Et les orchestres chinois ?

Je suis allé à Shanghai lorsque j’étais chef de l’orchestre de la radio de Shanghai, j’y suis resté un an, puis ils ont tout réorganisé et l’orchestre est devenu le Shanghai Symphonic Orchestra, la progression des orchestres chinois est extraordinaire ; il y a un grand futur pour la musique en Chine, il y a des gens extrêmement doués, d’une sensibilité remarquable, ce ne sont pas des machines, ce que je ne trouvais pas avec les orchestres japonais, et ce ne sont pas des abrutis de travail comme les Coréens !

Les jeunes pianistes coréens ont une technicité incroyable mais au niveau de l’interprétation, il y aurait beaucoup à dire.

C’est ce que je pense, beaucoup vont travailler aux Etats Unis, ils sont absolument partout ; attention l’enseignement du piano laisse beaucoup à désirer pour ne pas dire davantage; tout le monde peut devenir professeur de piano. Il y a quelques années déjà j’avais été invité à la convention des professeurs de piano américains, c’était à Nashville, il y avait 12000 personnes dans un stade de sport, je devais faire l’introduction, je les ai remerciés de m’accueillir puis je leur ai dit, je vais vous faire une confidence, je pense que parmi vous il n’y a pas plus de cinq personnes qui sachent enseigner le piano ! Je ne vous dis pas le succès que j’ai eu (rires) !

Après cela vous me dites que vous n’avez pas la dent dure !

Non je ne l’ai pas, mais là je l’ai dure parce qu’on apprend très mal à jouer! Combien de fois je vois de jeunes pianistes qui se tiennent mal, avec la position de la main, des doigts, du pouce, totalement ignorée, la tête dans le guidon, toutes leurs positions sont très très mauvaises…

J’ai assisté dernièrement à une master-class d’un pianiste que j’apprécie, il y avait trois élèves du Conservatoire National et il a passé son temps, comme vous le dites, à rectifier leur position pour qu’ils puissent mieux interpréter l’œuvre qu’ils avaient choisie.

Comment voulez-vous interpréter quelques choses si vous n’en avez pas les moyens ?

Ils sont quand même au Conservatoire National !

Et alors, ça ne veut rien dire !

Auraient-ils de mauvais professeurs ?

Je connais à fond, ce qui veut dire à fond, l’enseignement français, je n’en dis pas plus…

Les professeurs sont quand même de grands interprètes ? On peut être un bon musicien sans être un bon pédagogue ?

Ils n’ont souvent pas la patience, ils ne comprennent pas comment ils jouent bien ! C’est cela qui est terrible ! L’enseignement du violon est dramatique, il faut être réaliste, il y a très peu de talent de toute façon !

Comment êtes-vous devenu un tel interprète aux 6000 concerts !

J’ai eu la chance d’avoir eu très tôt une très grande professeur de piano, Rose Lejour, d’une musicalité extrême, elle m’a appris l’essentiel, comment tenir une main ; je lui dois tout, mais… j’ai mis du mien aussi….(rires)

Ne faut-il pas être un peu doué au départ ?

Sûrement, on ne peut rien faire sans don.

Il y a quand même beaucoup de bons pianistes, de bons techniciens j’entends, qui passent huit heures par jour sur leur piano comme vous le dites..

Ça toujours existé ; il y a quelque chose de terrible aujourd’hui, c’est que beaucoup de pianistes sont devenus des exhibitionnistes, on n’a pas besoin de cela, ce n’est pas de l’art, la prostitution musicale m’énerve…

Y’a-t-il un jeune pianiste aujourd’hui qui vous a impressionné ?

Oui, c’est Alexandre Kantorov ; c’est un pianiste magnifique, qui a de bonnes idées musicales, on a besoin de gens comme lui pour le piano français, d’une honnêteté formidable dans son jeu, je souhaite qu’une chose, qu’il n’écoute pas trop de monde…ne se laisse pas atteindre,

Vous avez connu ce problème je suppose ?

Quand vous avez 16 ans, que vous recevez le prix Marguerite Long et qu’on vous envoie des menaces de mort, c’est difficile à l’accepter…

De mort !

Et oui ce n’est pas très agréable et je sais qui me les a envoyées !

Des noms !

Non non…

Il est mort ?

Pas du tout (rires)

C’était un pianiste ?

Oui mais il a abandonné le piano, il m’a voué une haine extraordinaire ! De là à vouloir vous faire la peau, il y a quand même des limites ! On n’a pas le droit d’écrire ce qu’il a écrit ! C’est abominable !

Cela a-t-il porté préjudice à votre carrière ?

Absolument pas ! J’ai eu un chemin qui n’a pas été facile, il y a eu beaucoup de travail de ma part, j’ai commencé très jeune; lorsque à 18 ans j’ai joué à Carnegie Hall, en France on disait que monsieur Entremont avait de la chance ! Ce n’est pas de la chance non, le plus difficile ce n’est pas d’y jouer, c’est d’y revenir, et j’y suis revenu en tant que pianiste et en tant que chef d’orchestre et tellement de fois ! C’est là que c’est formidable !

Quand on a tout joué, là on vient d’éditer chez Sony un coffret 34 cd d’œuvres pour piano solo que vous avez enregistrées entre 1956 et 1986 n’est-ce pas compliqué d’écouter les autres ?

Non, il y a beaucoup de pianistes que je respecte ; quand j’écoute les sonates de Beethoven par Monsieur Backhaus, attention, là c’est magnifique, cela me plaît ; il y a des œuvres interprétées par Arrau jeune que je trouve formidable…

Et Kempff ?

Je passe, madame de Larocca, oui là j’aime ! Il y a toute une école que je n’apprécie pas beaucoup.

Brendel a enregistré plusieurs fois les sonates de Beethoven

Ah oui et alors (rires) c’est bien…j’ai enregistré Ravel deux fois… attention !

Aviez-vous des choses différentes à exprimer?

Je ne joue pas avec le passé, non pas du tout, c’est l’instant qui est important ; Stravinsky que j’ai connu trop tard, m’avait dit au cours du seul enregistrement que j’ai fait avec lui : « Philippe, allons faire notre cadavre ! »

Comment était-ce cet enregistrement avec Stravinsky ?

C’était un moment extrêmement pénible, je l’ai connu alors qu’il n’était plus Stravinsky…On a fait le disque seul avec l’orchestre.

Vous a-t-on dédié des œuvres ?

Non, bien qu’il y ait un compositeur français qui a regretté de ne pas m’avoir dédié une œuvre, c’est Jolivet avec son concerto pour piano que j’ai joué pour la première et à Carnegie Hall ; sa musique a une vitalité extraordinaire mais c’est très difficile à interpréter, comme une sonate de Boulez. J’ai dirigé son concerto pour basson il n’y a pas si longtemps, c’est un chef-d’œuvre.

Comme vous êtes encore un homme jeune, qu’aimeriez-vous enregistrer que vous n’avez pas déjà fait ?

On n’a peu enregistré certaines des œuvres pour piano solo de Mozart ; j’ai enregistré toutes ses sonates, ses concertos, mais pas les rondos, les variations, la grande fantaisie. Il y a quelques années j’ai fait une série d’émissions pour la télévision : apprendre à jouer Mozart ; il y a eu 22 émissions, avec un élève à chaque fois, puis je jouais l’œuvre, une sorte de master-class. La production choisissait les jeunes pianistes, je ne les connaissais pas ; il y en a un, Roberto Plano, qui est aujourd’hui un excellent pianiste italien; je crois qu’il y avait une japonaise ou une taïwanaise, les autres je ne sais pas ce qu’ils sont devenus, il y avait aussi le fils d’un grand critique autrichien. J’ai toujours eu dans la tête la qualité des œuvres pour piano de Mozart en dehors des sonates et concertos et j’espère en faire un disque.

Et dans tout ce que vous avez enregistré, il y a bien un morceau qui a votre préférence non?

C’est la Burlesque de Strauss. C’est un disque très bien enregistré, un miracle, avec un orchestre extraordinaire, le National Philharmonic Orchestra. Cet orchestre britannique était créé pour les enregistrements et organisé par le premier violon du LSO, Sydney Sax ! Il était constitué de premiers violons d’orchestres et de violonistes parfaits pour les œuvres à enregistrer ! C’était un des plus grands orchestres que j’ai connus ! Et quel chef ! Okko Kamu était un tout jeune chef qui venait de gagner le concours Karajan. On avait enregistré aussi Les Variations sur une chanson enfantine de Dohnányi et un extrait du Concerto symphonique de Litolff. Une merveille de disque !

Il est dans votre coffret,  le 27ème cd ! Alors on attend le prochain Mozart et pour le moment : « Bon Anniversaire Philippe ! »

Merci !

Sony a édité 34 cd  ! Ce coffret offre l’essentiel de la musique pour piano d’Entremont; de Bach à Strauss en passant par Beethoven, Chopin, Moussorgski, Debussy, Ravel, Saint-Saëns et un album collector avec la Crespin – Entremont a dirigé ses adieux comme ceux de Menuhin, Price… avec l’Orchestre de la Nouvelle Orléans –  et surtout il nous permet de réentendre des versions référence avec un pianiste d’exception que la France a toujours boudé (on le croyait Canadien !) mais que toute une génération d’amateurs de musique classique, qui a connu la guilde du disque, adorait écouter les deux concertos de Mozart sous la direction de son père – cd réédité –  Entremont, l’éternel jeune pianiste, grâce à ce coffret !

 

©DR

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