Les compositions d’Un Ticket pour l’Espace , Prête-moi ta Main , d’Éric Lartigau c’est lui, la plupart des films d’Olivier Marchal c’est lui, Première Étoile , cette superbe comédie de Lucien Jean-Baptiste, c’est aussi lui. C’est dans son studio au Père Lachaise, face à un petit déjeuner copieux, arrosé de plusieurs cafés no « What Else », que nous avons parlé musique à l’image pendant presque une matinée ! Ce compositeur talentueux, à l’humour féroce, a parlé souvent off record ; donc ce sera une interview sur son parcours, raccourcie et bien sage, que j’ai retranscrit ici.
Clarinettiste classique, dès son plus jeune âge, au conservatoire de Lorient, il a grandi dans une ambiance rock des années soixante-dix car ses trois grands frères étaient musiciens dans des groupes, style Deep Purple. Le jazz il ne connaissait pas. Parallèlement il s’est très vite intéressé aux synthés….
Qui vous a donné envie de faire de la clarinette ?
Les professeurs de musique venaient dans les écoles et présentaient leur instrument. J’ai eu un flash et j’ai dit à mes parents que je voulais faire de la clarinette ! Ce professeur est devenu le mien ; je pense qu’il a dû jouer un extrait de Pierre et le Loup, le chat….
Vers 16 ans il a commencé à jouer des claviers dans des groupes et faire du Pink Floyd. On était dans les années quatre-vingt et la musique de film n’était pas présente dans son univers, même s’il voyait beaucoup beaucoup de films. Chose étonnante il se souvenait des noms des compositeurs des musiques ! Ces musiques c’étaient pour lui de la musique classique, ça sentait le Prokofiev ou le Stravinsky à plein nez !
C’est une période que vous appréciez ?
Oui car les films ne se prenaient pas au sérieux. J’adorais les musiques de Horner, Goldsmith, Williams bien sûr. J’ai un ami d’enfance, cinéphile, et fana de jazz, et c’est par lui que je suis venu au cinéma et à cette musique. Il n’y a plus cette légèreté aujourd’hui et je le vois avec mes enfants qui sont tout jeunes, ils préfèrent l’Aventure Intérieure ou Top Gun aux Avengers.
Pensez-vous que ces compositeurs n’écriraient plus aujourd’hui ?
On ne peut plus écrire ainsi sur les films qui sont réalisés aujourd’hui. Cela ne marcherait plus….
Erwann jouait beaucoup dans des groupes, il relevait de nombreuses musiques aux claviers, de Génesis par exemple, mais ce qu’il voulait faire c’était de la bio et travailler dans la génétique. Il s’est mis aussi à écouter beaucoup de musique de films. Un jour, il rencontre une fille au pair qui est la fille de Ralph Grierson, un clavier de studio aux mille films ! C’était le pianiste attitré de Williams. A la fin de « ET », la version piano du thème a été écrite pour lui ! A 17 ans, il part en vacances à Los Angeles. chez Grierson et il est invité à une séance d’enregistrement de « Batman Returns » ! Elfman et Burton étaient présents avec cent vingt musiciens. Le choc ! Erwann adorait la musique classique, il ne voyait pas sa vie sans musique, mais il ne savait pas comment. Jouer dans des groupes at vitam ce n’était possible. Là, face un orchestre, il voyait qu’on pouvait faire de la musique autrement. De plus, il avait une fascination pour Herrmann. Et là, il demande à Grierson comment on peut faire pour écrire ainsi ! Grierson lui trouve une école pas trop chère pour apprendre à écrire de la musique de film, la Dick Grove School. Mais sans son bac ses parents ne lui laisseront pas y aller ! Il bosse dur pour obtenir le diplôme et, motivé, il reste trois ans dans l’école où il apprend le jazz dont il ne connaissait rien. Grove ferme et il termine son cursus à UCLA, la partie la moins prestigieuse et la moins chère de l’université. Il a comme professeur Gerald Fried, le compositeur de la série « Roots », la première, en remplaçant Quincy Jones, et d’autres orchestrateurs célèbres….
Vous avez de la chance d’avoir eu de grands orchestrateurs, si je comprends bien…
Oui, on est dans les années 90 et j’ai eu la chance de rencontrer tous ces grands orchestrateurs et d’avoir vu des séances avec Ralph et d’assister à des séances avec une centaine de musiciens qui jouaient en direct et ensemble ! J’ai vu des re recordings ahurissants sur Sommersby , musique d’Elfman où le célèbre percussionniste Mike Fischer a fait toutes les percussions, et on a l’impression à l’écoute de la musique qu’ils étaient toute une bande !
Erwann Kermovan est rentré en France pour effectuer son service militaire dans la musique, puis a composé pour beaucoup d’institutionnels, des courts-métrages.
Aviez-vous fait une bande démo pour vous faire connaître ?
L’avantage à Grove c’est que l’on enregistrait toutes les semaines, du jazz principalement et à UCLA, assez régulièrement, on enregistrait nos musiques avec une vingtaine de musiciens. Cela apprenait avec une économie de moyens comment optimiser un orchestre réduit.
1999 : Erwann monte à Paris car en Bretagne il ne se passe pas grand chose et, ironie du sort, Télé Breizh, installée à Lorient, lui demande de faire son habillage d’antenne ! Grâce à un court-métrage de Samantha Mazeras il met un pied à la télévision, à TF1. Avec elle il compose pour Duelles, R.I.S… Parallèlement il compose à la même époque deux autres courts-métrages de Michel Leray dont un avec Kad Merad, pas très connu à l’époque. Il écrit avec Olivier Baroux le scénario de « Mais qui a tué Pamela Rose » et lui propose d’écrire la musique. Après un appel d’offre, il est choisi par la production.
La musique est très orchestrale ?
C’est un film avec beaucoup de références, un vrai polar, un vrai film américain, la musique devait aller dans le même sens, une musique au premier degré. J’ai tapé juste avec ma maquette sans le savoir ! Le film a bien marché et LGM, la production, m’a rappelé pour 36 Quai des Orfèvres d’Olivier Marchal !
Et aujourd’hui il fait encore appel à vous !
J’ai cette chance.
Aujourd’hui la musique des films est très électro, est-ce une mode ? N’est-ce pas une musique qui vieillit mal ?
Oui et non. Il y a des scores qui tiennent bien dans le temps : Clint Mansell avec Requiem for a Dream par exemple. Je préfère même le score de The Fontain qui est aussi joué par le Kronos Quartet.
Vous parlez de musiques : pensez-vous qu’on peut les écouter sans le support des images ?
Dans certains cas de figure oui. Dans la masse de musiques que j’écris, il y en a de nombreuses qui n’ont pas de sens sans l’image, ce sont pratiquement des musiques fonctionnelles.
Alors que pensez-vous de ces grandes messes au Rex ou au Palais des Congrès ? La musique de film n’est-elle pas la musique classique d’aujourd’hui ?
Le Rex n’est pas une salle où on peut jouer de la musique, l’acoustique n’est pas bonne, mais l’idée est fantastique. Le Palais des Congrès n’est pas top non plus ! Pourquoi ne pas jouer dans les salles qui s’y prêtent. Je vous rejoins sur ce que vous dites à propos de la musique classique et celle de film, on les écoute dans des endroits où des orchestres peuvent jouer. Je suis désolé, j’ai entendu « Ratatouille » au grand Rex et je n’ai pas entendu cette magnifique musique d’Elfman tant l’acoustique est mauvaise ! A Pleyel on n’aura pas une qualité d’image qu’on aura au Rex mais on vient écouter de la musique.
Quelle musique que vous avez composée aimeriez-vous qu’on interprète dans une grande salle ?
Big City de Djamel Bensalah, ce serait vraiment drôle en concert, même si le film n’est pas très bon. Le générique de fin de l’Enquête de Vincent Garenq.
Vous êtes en train d’écrire pour le prochain film de Jean-Baptiste ?
Oui il est en train de préparer une Deuxième Étoile…
Est-ce que vous écrivez toutes les notes de vos partitions ?
Il y a une question de timing. J’ai un orchestrateur, Mathieu Alvado, qui est aussi un compositeur archi talentueux. Il dit qu’il met seulement au propre mes musiques. En fait, il travaille quand même beaucoup plus. On fait des maquettes aujourd’hui qui sont carrément des produits finis. Mon orchestration au sens où on l’entend est déjà là, mes couleurs sont déjà présentes ; ce que fait Mathieu est un vrai travail d’orchestration. J’ai toujours fonctionné ainsi, même avec Jean-Pascal Beintus, mon précédent orchestrateur qui travaille aujourd’hui avec Desplat. J’ai le goût de l’orchestration que m’ont donné mes professeurs aux États-Unis. Ce que fait Mathieu est très important, il affine tout, recadre certains accords. Ce qui est fait à la va-vite, dans le feu de l’action, il le remet dans le bon sens. Pour moi l’orchestrateur c’est quelqu’un qui met la couche de polish, qui fait des propositions. Souvent j’écris des choses étranges et Mathieu me le fait remarquer, mais comme ça marche il me dit de le garder ! Parallèlement j’écris des musiques de ballet, je vis avec une danseuse. Ce sont de vraies créations en fait, j’adore ça.
La musique pour le ballet, c’est comme de la musique de film non ?
Mais bien sûr, Prokoviev a fait les deux et à Hollywood ils ont piqué pendant des années dans Tchaikovsky. C’est de la musique pour des images. J’adore surtout si c’est pour orchestre, et Mathieu a orchestré une de mes pièces et souvent il ne comprend pas mes orchestrations et il n’y touche pas.
Mais là vous n’avez pas une problématique à résoudre. Or souvent les compositeurs de musique de film face à une page blanche écrivent des œuvres assez faibles. Rota, Moriconne, Williams, Desplat par exemple…
Mes œuvres pour ballets sont plus intéressantes que celles pour les films. Avec Marchal par exemple je n’ai rien, je connais juste l’argument et j’écris et Raphaël Urtin, la monteuse, met la musique où elle veut. En fait, elle monte sur ma musique ; c’est comme pour les ballets. Au début le chorégraphe faisait ses chorégraphies à partir de mes musiques de films, puis avec un autre je filmais les répétions. Comme pour une musique de film j’écrivais de la musique. La dernière pièce que j’ai écrite pour un chorégraphe japonais, c’est très électronique avec aussi de la clarinette basse jouée par mon professeur, c’est une musique plus contemporaine. C’était une expérience difficile à réaliser.
Vous avez reçu un prix pour la musique de Bordeline, le téléfilm lui aussi récompensé réalisé par Marchal. C’est important pour vous ?
Je suis content mais c’est surtout important dans le sens que le jury est un groupe de professionnels à la différence des Césars. Étrangement je suis plus content quand c’est le film dans son ensemble qui a le prix, parce que çà veut dire que ce que j’ai fait a contribué au film. Comme je viens du classique et que j’en écoute toujours beaucoup, je suis fier de ce que je fais, mais je ne considère pas que ma musique est révolutionnaire. Il y a des types qui écrivent des œuvres tellement impressionnantes. Il y a une chose que je n’oublie jamais : ce n’est pas mon film, c’est celui d’un réalisateur.
Vous êtes quand même un auteur !
Oui bien sûr mais si je suis auteur je fais de la musique de ballet, j’ai un rôle extrêmement décisionnaire…
Permettez-moi de ne pas être d’accord avec vous : on considère plus celui qui écrit le scénario. A Cannes il y a d’ailleurs un prix, on vous considère comme un technicien, à voir les génériques ! Monsieur Frémaux, dans ses interviews, oublie qu’au début du festival il y avait un prix pour la musique…
Oui, on oublie que la musique est à la base du cinéma, je ne dénigre pas le rôle essentiel de la musique dans un film. Je dis juste que lorsque l’on fait de la musique de film, je me mets au service du film. Je suis auteur, certes, j’amène mon interprétation de l’histoire, mais je me mets au service d’un film. On se fait tous un peu avoir là dedans, on a tous tendance à tirer la couverture à soi lorsqu’on écrit. La grosse difficulté est de ne pas aller vers cette attitude. Il faut souvent se faire violence, il faut se dire qu’on veut de la musique pour un projet. Lorsque j’ai fait L’Enquête avec Vincent Garenq, j’ai eu du mal à le convaincre sur certaines choses, il voulait de la musique minimale, j’ai réussi à le convaincre du contraire et il a très vite compris que je n’étais pas là pour l’embêter mais pour lui apporter des idées qui allaient enrichir son projet. Le film d’après, il a voulu quelque chose de minimal et je ne l’ai pas fait. La musique de l’Enquête avait été nommée aux Césars !
Que pensez-vous de la musique des films américains d’aujourd’hui ?
Elle ne me fait pas rêver. Williams est considéré comme Old School. S’il faut écrire de la musique pour Remote, non merci ce n’est pas pour moi.
Notre conversation s’est terminée en off en regardant des partitions d’un célèbre compositeur américain, très à la mode, très demandé, dont la place est aujourd’hui indestructible, mais qui a un orchestrateur qui est un des plus brillants musiciens d’Hollywood ! Serait-ce les nègres qui auraient le vrai talent ?