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[ENTRETIEN] : Laurent AKNIN : «La musique, ce n’est que la traduction d’émotions, de sentiments»

Laurent Aknin

De la chanson à la musique à l’image, Laurent Aknin n’a pas cessé de composer. Entre deux notes, nous l’avons rencontré un jour du mois d’avril dans son studio juste avant la sortie de « Jour J », un film de Reem Kherici avec Reem Kherici, Nicolas Duvauchelle, Sylvie Testu ; une bonne comédie bien déjantée.

La musique à l’image ce n’était pas votre truc à l’origine ?
Non. C’est vrai j’ai commencé par la chanson, j’avais un groupe de musique avec ma sœur et celle qui est devenue ma femme. On faisait de la variété française. Un jeune homme à l’époque, qui est devenu un ami, écrivait les paroles des chansons. Cet ami réalisait des courts-métrages et j’écrivais la musique de ses films. Donc à la scène c’était un trio et en coulisse un quatuor.

Jouiez-vous d’un instrument ?
De la guitare et du piano.

Avez-vous commencé jeune ?
J’avais 14, 15 ans quand j’ai écrit ma première chanson. J’en avais 20 pour le groupe.

Et comment s’appelait-elle ?
« Without You ! »

Et vos influences ?
C’était entre Morricone et Michel Berger ! Et puis Elton John, Supertramp, Pink Floyd…

Si à 14 ans vous écriviez des chansons, c’est que vous aviez envie d’entrer dans ce monde…vous casser la voix !
Je n’étais pas fan de ce chanteur, ma sœur oui…Dans les fêtes j’étais celui qui se mettait au piano…

C’était pour draguer les filles !
C’est clair et ça marchait bien…(rires) ! Oui il y a eu un truc dans le fait d’écrire des chansons, qui est venu assez rapidement, avec des amis, des rencontres. J’ai passé beaucoup de temps à chanter Elton John, Berger, entre 15 et 20 ans. L’idée du groupe est venue de ces influences.

Et comment s’appelait-il ?
Atma ! L’album est toujours sur internet. C’était un album de jeunesse, qui a beaucoup de défauts. Mais à l’époque c’était très bien. Rapidement le parolier est passé du court au long. Il avait décidé de faire du cinéma peu de temps avant notre rencontre…

Alors parlez-moi de ce réalisateur…
Au départ je voulais faire de la mise en scène et de la réalisation. J’étais en fac de cinéma à la Sorbonne. J’ai fait une licence, puis des stages, de la photo. Et un jour, j’entends parler d’un poste d’assistant à la mise en scène. Je rencontre le metteur en scène et l’auteur qui était Ivan Calbérac !

D’où ce couple infernal du cinéma français : Aknin-Calbérac
Notre collaboration a commencé comme cela ! Il a écrit les paroles du trio, j’ai fait les musiques de ses courts, et depuis « Irène », je le suis sur toutes ses aventures cinématographiques !

Vous en êtes à combien de films ?
Entre les téléfilms et les films on doit bien être à plus d’une dizaine de productions !

Lorsqu’on est en couple, il doit y avoir des hauts et des bas ? Comment fonctionnez-vous ?
Il n’y a jamais eu de hauts et de bas. C’est dans la continuité, dans le mouvement, qu’on a collaboré. A chaque fois qu’il partait sur une nouvelle aventure, j’y rentrais très rapidement, dès les premières moutures. J’étais donc très en amont. Pour certains films, comme « Irène », ou « L’Étudiante et Monsieur Henri », il fallait écrire des musiques, des thèmes, joués par le personnage du film, ce qui nous aidait à définir les contours musicaux, les couleurs. Et à l’écriture du score à l’image, on avait ainsi une ligne directrice. Connaissant bien Ivan, ses goûts, j’ai eu moins de difficulté à traduire ses sentiments. Lorsqu’il me parle de tristesse, de joie, je sais quelles teintes il désire. Aujourd’hui, avec d’autres réalisateurs, s’ils veulent une teinte bleue, il faut passer par plusieurs phases avant de la trouver. Avec Ivan, je ne dis pas que c’est toujours une autoroute ; néanmoins il y a une système de compréhension qui est plus fluide. Je viens de terminer un film (« Jour J ») avec une réalisatrice (Reem Kherici) pour qui j’avais composé pour son premier film (« Paris à Tout Pris »). Il a fallu trouver nos marques, qu’on se découvre. Sur le deuxième il y a eu plus de facilité pour communiquer. La musique, ce n’est que la traduction d’émotions, de sentiments, et pour bien les traduire il faut bien comprendre le réalisateur.

Votre ami Ivan a une grande sensibilité. Vos musiques sont très sentimentales. Il y a toujours un joli thème : « Irène » et ce thème au piano, « L’Etudiante » aussi. Les musiques doivent être assez simples pour être interprétées par les actrices. Vous ne pouviez pas vous permettre d’écrire du Prokofiev !
Non, on a essayé de faire quelque chose qui soit mélodieux et un petit peu technique car elles sont censées jouer du piano. Le but était de ne pas noyer le spectateur dans des musiques trop compliquées, là où, nous musiciens, on se fait plaisir. Si les orchestrations sont quelquefois complexes, le thème doit être simple et je m’attache à cela dans la musique. Avec Ivan on s’est bien rencontré, on a une sensibilité pour la musique à thèmes.

C’est souvent une musique très lyrique, romantique, avec thèmes et variations…
Jusqu’à présent oui…avec un peu de baroque sur « L’Etudiante » ; il y a un fil rouge, mais rien ne dit que pour son prochain film, il procédera de la même façon. Chaque film porte en soi une identité et une couleur et malgré les influences du réalisateur et du compositeur, on propose toujours de nouvelles choses. On ne s’appuie pas sur ce qui a fonctionné auparavant ! On se pose toujours la question lorsque l’on commence une collaboration.

Vous avez appris la guitare et le piano. Avez-vous pris des cours, êtes-vous passé par des conservatoires ?
Tout petit j’ai pris des cours de classique au piano chez une prof de conservatoire parce que l’on n’avait pas trouvé de place, entre six et onze ans. J’étais chez elle, avec les vieilles méthodes, ce n’était pas simple. Puis comme je saturais, mes parents m’ont proposé de changer et j’ai eu un professeur plus souple, avec qui j’ai continué à jouer du classique mais qui a aussi introduit un répertoire un peu plus moderne. Et c’est là où j’ai rencontré Elton John, les artistes qui se servaient du piano pour s’accompagner. Peut-être pas de grands pianistes mais des musiciens qui savaient se servir du piano pour le mettre au service de leur discours. C’est ce que je trouvais chez Berger, Supertramp. J’étais fasciné à l’époque par cette façon de jouer du piano. C’est ce qui m’a donné envie d’aller plus loin dans ce métier.

Pour les orchestrations, les arrangements, comment faites-vous ?
Je fais toujours une première phase, je la travaille avec les machines et les intuitions que j’ai des orchestrations, avec les cours d’harmonie que j’ai pu prendre. Comme je n’ai pas eu de formation totale, je continue de progresser d’un film à l’autre dans ce domaine et je travaille avec un orchestrateur qui m’aide, remet de l’ordre, ce qui me fait gagner du temps. C’est Nicolas Guiraud. Il travaille sur des films et sur des orchestrations pour des concerts comme pour la tournée d’Obispo. Il est percussionniste au départ et il est prix du conservatoire aux percus mais aussi prix d’harmonie et d’orchestration. C’est un mouton à cinq pattes, très calé au niveau rythmique et harmonique avec de très bonnes idées.

Vous avez aussi travaillé avec Philippe Lioret
Oui de manière assez éphémère, sur un projet « Les talents Cannes » que l’ADAMI avait mis en place. A l’époque, je faisais aussi beaucoup de dessins animés. Je continue et cela me plaît beaucoup. Je fais des séries de 13 minutes et il y a de la musique tout le temps.

Et là il faut être créatif !
Oui et en temps réel. On a peu de délais pour faire les épisodes et il y a un cahier des charges très précis pour la couleur et les thèmes à créer. On prend beaucoup de plaisir à articuler les personnages. Parfois c’est plus cartoonesque que d’autres, il faut souligner les chutes, faire des envolées. C’est un superbe exercice de travail à l’image. Je compose pour ce genre de film depuis le début de ma carrière.

Quelles sont les séries où on peut écouter votre travail ?
Il y a « Woofy », « L’apprenti Père Noël » qui repasse tous les ans.

C’est une rente…
C’est agréable. Il y a aussi « Matt et les Monstres » qui est une création originale. La nouvelle série sur laquelle je travaille s’appelle « La Petite École d’Hélène » pour du préschool. C’est l’histoire d’une petite fille qui joue à la maîtresse avec ses jouets, lesquels prennent vie pour l’occasion. Il faut retrouver l’enfant que l’on était. Je trouve que cela complète bien mon travail cinématographique. Il faut aller à l’essentiel, trouver les bons thèmes et les jolies articulations ; alors que le cinéma fait appel à plus de réflexions.

Le piano est-il votre moyen d’expression ?

Je l’utilise pour trouver ce que vont jouer les instruments. Il m’arrive aussi de faire les claviers et la guitare dans les enregistrements des musiques.

Vous avez aussi travaillé avec Boujenah…
J’ai fait aussi un Talent Cannes ADAMI avec lui. Ensuite on a travaillé ensemble sur « Trois Amis ». Il avait choisi son compositeur. Mais je lui avais proposé un thème en amont et il l’a gardé pour le générique de fin du film. On est ami et on aura sûrement bientôt une collaboration soit sur un de ses spectacles, soit sur un film.

Avez-vous travaillé pour des spectacles ?
Oui, et ma toute première musique était pour un spectacle de danse contemporaine. C’est un ami de la famille qui m’avait demandé si je pouvais lui composer trois thèmes au piano pour sa compagnie, c’est un très bon chorégraphe. A la fin il m’a tendu un chèque ; cela a été mon premier salaire ! J’ai failli l’encadrer tellement c’était surréaliste ! Et c’est ce qui m’a permis de croire qu’on pouvait gagner de l’argent en faisant de la musique. Je l’avais fait d’une manière totalement désintéressée. C’était un honneur pour moi de composer pour un spectacle. Ensuite j’ai fait de la musique pour du théâtre. Encore récemment pour Morgan Perez, j’ai composé pour la Pièce d’Anne Bourgeois « Le Plus Beau Jour », qui a été diffusée en direct à la télévision, sur F2, le soir des Molières. Et puis « L’Etudiante et Monsieur Henri » était une pièce avant d’être un film. On a fait une autre pièce avec Ivan qui s’appelle « Une Famille Modèle », et j’ai écrit la musique d’un One Man Show pour Michael Hirsch. Le spectacle fait partie des compositions que j’aime faire et c’est un exercice très intéressant.

Vous avez eu la chance que Ivan Calbérac fasse autant de films !
Oui c’est une super chance. C’est un énorme terrain de jeu qui m’a permis d’expérimenter plein de choses. On a écrit des chansons pour ses films, des chansons pour des boîtes de nuit, guitare, voix, des thèmes orchestraux. Il y a eu un champ des possibles très important, qui a été complété par des films que j’ai pu faire avec d’autres, notamment « Paris à Tout Pris », et « Jour J » avec Reem Kherici. Elle m’a beaucoup sollicité pour les chansons de ce film. C’est une comédie très à l’américaine, avec les codes de « Mary à Tout Prix », ou comme « Bridesmaids », il y a l’utilisation de chansons synchros mais aussi des chansons originales. L’écriture du score est dans la tradition anglo-saxonne. C’était un autre chalenge très intéressant…

Et là vous avez changé vos arrangements où il y a toujours ce petit piano très sentimental…
Il y est aussi, moins dans le thème que dans « L’Etudiante », plus dans l’accompagnement d’une scène. Il y a des scènes assez sentimentales, mais on est plus dans le style « Notting Hill » ou « Love Actually ». Les chansons sont plus pop et il y a des moments plus funky. C’est là sa façon de travailler, elle aime le mélange.

Êtes-vous catalogué dans le genre comédie sentimentale ?
J’espère que non. J’aimerais composer dans d’autres genres mais il y a toujours un encartage. Je suis quelqu’un de sentimental et de rigolo ; c’est ma personnalité, et ce n’est pas un hasard si je fais ce genre de film ; rien n’arrive par hasard !

Écrire pour des comédies sentimentales, ce n’est pas facile !
Oui car on n’écrit pas de la musique drôle, on fait de la musique sur des situations qu’il ne faut surtout pas paraphraser. J’ai fait dernièrement un film qui s’appelle « Baby Phone » d’Olivier Casas. C’est un huit clos avec des thèmes plus complexes, parce que les personnages se trouvent dans des situations pas simples à gérer entre eux. Il a fallu écrire une chanson qui a eu un bon succès à la sortie du film, et qui tient surtout parce que c’est le climax du film. Là aussi il a fallu travailler en amont sur le film, qu’on la conçoive et qu’on l’enregistre avant de passer sur le tournage du film. J’étais sur un terrain d’expérimentation très, très large et le dessin animé m’a beaucoup servi. Avec « Matt et les Monstres » j’étais dans des ambiances 60-70 et des instruments vintages, des riffs d’époque. Se replonger dans ce genre d’univers a été vraiment un super cadeau et avec les 52 épisodes j’ai eu le temps de m’y plonger ! Chaque projet appelle une nouvelle inspiration, il faut se remettre en question, rester très humble même sur ce que l’on a fait antérieurement. Il n’y a rien d’acquis dans ce métier, tout cela est en mouvement, et même s’il y a de l’expérience qui entre en jeu et qu’il y a des choses qui se bonifient, tout est à chaque fois une page blanche où il faut écrire les plus belles notes.

Mais vous avez la chance d’avoir un agent. C’est aussi un plus !
C’est assez récemment que Mary Sabbah est mon agent. C’est après « L’Etudiante ». Car Mary supervisait la musique et cela s’est fait tout naturellement. J’ai eu plusieurs approches d’agents, mais ce n’était pas ce que je recherchais. Avec Mary et ses collaborateurs il y a un vrai échange, un vrai partage sur les films où je travaille, et cette équipe est très au fait de la musique et anticipe les questions.

Être à l’UCMF [Union des Compositeurs de Musiques de Films], qui défend vos droits, est-ce une bonne chose ?
Je n’y suis pas, mais il faut que je me penche sur la question car il y a des problèmes qui se posent sur la politique de la musique à l’image, des questions qui sont à la fois d’auteurs ou sur la considération de notre profession qui n’est pas reconnue dans la production aujourd’hui, soit en termes de budget, soit en termes de reconnaissance propre. En termes de récompense à Cannes, en premier lieu bien sûr. Même aux Césars elle est considérée comme un poste technique, même si ces postes sont importants. La musique, par définition et par essence, ne l’est pas. C’est un poste qui mélange la technique et l’artistique. De mon point de vue elle est très importante pour ce qui est de la création d’une œuvre cinématographique.

On ne vous donne pas toujours les moyens pour…
Souvent les budgets ne sont pas à la hauteur de ce qu’on nous demande de faire ! Il y a aussi une Omerta de la part des producteurs. Dès lors qu’ils ne reconnaissent pas la musique comme étant importante, arrivée en bout de chaîne, son budget est faible. Aux États-Unis il est plus élevé en proportion ! Lorsque l’on vous demande de faire une musique qui doit sonner comme Zimmer ou Graig Armstrong, avec des moyens comme s’il s’agissait d’un quatuor à cordes, il y a comme un problème ! Cela devient très compliqué. J’ai toujours eu de la chance, même si je sens que le chemin va de plus en plus vers une réduction des coûts. Il est assez rare qu’on vous dise : on a du budget, tu peux faire ce que tu veux !

Continuez-vous à écrire pour vous ?
Oui, j’essaye. Dès que j’ai un peu de temps je rentre dans ma créativité. Je pense que le secret de ce métier est qu’il faut être constamment en mouvement, ne jamais s’arrêter. La vie c’est le mouvement, la musique c’est le mouvement. Écrire pour soi, c’est écrire sans contrainte et être à son écoute le plus possible. Pour moi, il est fondamental de se poser cette question et de repasser par cette case là de temps en temps, quitte à ne pas exploiter ce qu’on a écrit. C’est comme un écrivain qui doit écrire quelques pages tous les jours, un peintre qui doit retourner sur sa toile tous les jours, ou un compositeur qui, quel que soit son instrument, a pour enjeu d’inventer des sons sans jugement. A force de libérer cette créativité, au moment où il faut la mettre au service d’une œuvre quelle qu’elle soit, il sera plus facile de l’exprimer. C’est ce que je ressens de mon expérience.

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