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[ENTRETIEN] : PIERRE RÉACH 

 

©DR

À l’occasion de la sortie du début de son intégrale des sonates de Beethoven nous avons eu le plaisir de faire un entretien avec ce magnifique pianiste qui a d’autres activités à son arc dans le domaine de la pédagogie et de la création de festivals, un homme complet en somme.

Quelle est la lettre de l’alphabet que vous préférez ?

…..Je ne m’attendais pas du tout à cette question….je ne sais pas pourquoi j’aime bien le B !

Pour moi c’est évident !

Ah oui pour quoi ?

Eh bien Bach, Beethoven et Berlioz ! Ceux que vous préférez si j’ai bien lu sur votre site.

Je n’y pensais pas du tout c’est l’inconscient qui parle ! C’est une chose dont je me souviendrai, parce que je vous assure que je n’ai pas pensé à Beethoven…

Alors pourquoi aimez-vous cette lettre ?

J’aime bien quelque chose qui est deuxième en général, j’ai peur de ce qui est premier, parce que lorsqu’on est premier, on s’enfonce, on est triste, alors que le deuxième il a une réserve et une disponibilité devant lui et il est quand même dans les premiers.

Être deuxième dans un concours n’est-ce pas déméritant… ?

Cela m’est arrivé. Je vais vous raconter une histoire tout à fait authentique et qui va vous amuser. En 1974, j’avais 26 ans, j’étais finaliste au concours Maria Canals, en Espagne, ils avaient mis les drapeaux en berne parce que le Président Pompidou était mort et que j’étais le seul finaliste français !  J’ai joué le Carnaval de Schumann et il y avait aussi des sonates de Beethoven et toutes sortes de choses. Tout le monde était venu me dire que j’avais joué magnifiquement et que j’aurai certainement le premier prix. Les résultats arrivent et évidemment j’étais très déçu parce que j’ai eu le deuxième prix. Je rentre à l’hôtel, quand même content pour cette place et je regarde le journal et je vois qu’à Jaén, en Andalousie il y avait un concours huit jours plus tard avec exactement le même programme. Je téléphone au concours, je leur dis que je venais de gagner le deuxième prix à Maria Canals et que j’aimerais me présenter au concours. Ils me proposent de venir, ayant entendu parler de moi. Tout l’argent que j’avais gagné de mon second prix est passé en voyage et hôtel. Je participe et de nouveau tout le monde trouve que j’ai tellement bien joué que j’aurai sûrement le premier prix, j’arrive en final et j’ai une fois de plus le deuxième prix ! Le premier c’est un pianiste que vous connaissez c’était Jean François Heisser ! En deux jours j’ai gagné deux seconds prix ! Il m’est arrivé d’autres événements qui me font penser au numéro deux, par exemple au concours Rubinstein en Israël, j’ai eu la malchance qu’un horrible membre du jury et vous ne le croiriez pas, mais c’était le père de Daniel Barenboim, Enrique Barenboïm, qui m’avait mis zéro pour faire passer un de ses élèves ! L’organisateur du concours, Jacob Bistrizky était totalement désolé, ainsi que Rubinstein lui-même, qui m’a proposé de venir le voir à Paris et m’a prodigué ses conseils plusieurs années. Cela a été un des plus grands bonheurs de ma vie. Cette lettre B, me fait aussi penser à un livre que je viens de lire de Foenkinos qui s’appelle précisément Numéro 2 (La Blanche chez Gallimard). B c’est aussi la première lettre de la Bible en Hébreux dans le mot Bereschit, qui veut dire au commencement.

B comme Bible aussi !

Cela doit être inconscient, j’ai toujours été attiré par ce qui n’est pas premier mais par ce qui n’est pas mauvais. Mon grand professeur Yvonne Lefébure me disait toujours avec sa voix si particulière, Pierre la perfection n’existe pas il n’y a que le perfectionnement et cette phrase a inspiré toute ma vie.

Vous avez eu la chance d’avoir des professeurs exceptionnels !

Yvonne Lefébure a été pour moi une mère spirituelle, j’ai eu la chance grâce à Alexis Wiessenberg qui me conseillait lui aussi de travailler avec la grande pédagodue Maria Curcio. J’étais son premier disciple Français, ensuite elle a eu des pianistes talentueux comme Marie-Josèphe Jude, Pierre Laurent Aimard, Jean François Heisser… J’ai eu aussi des rapports avec de très grands maîtres comme Badura Skoda qui m’a énormément aidé dans Beethoven, Haydn, Schubert.B c’est aussi le si bémol en allemand qui est la tonalité de la sonate n°29 Hammerklavier de Beethoven

Le si bémol c’est aussi tout le blues, le jazz

Je ne connais pas trop le jazz, mais j’ai un souvenir impérissable d’Oscar Peterson à la salle Pleyel sur un Bösendorfer, encore un B ! Ce concert m’a énormément marqué.

Vous avez aussi été l’élève d’Yvonne Loriod

Oui, et quelle chance et puis j’ai gagné le concours Messiaen à Royan, là c’était le premier prix qui m’a beaucoup aidé.

Ce concours hélas n’existe plus

Oui la ville de Paris ne pouvait le financer. Alors cette lettre va me faire continuer à réfléchir et je ne savais pas qu’elle était si importante pour moi.

Donc avec B il y a Bach et, comme de nombreux pianistes, vous avez interprété et enregistré les Variations Goldberg ! C’est inimaginable le nombre de versions qui existent !

C’est une de mes passions, je les ai enregistrées plusieurs fois.

Dernièrement j’ai reçu un disque où elles sont jouées à l’accordéon, il existe une version à l’orgue, une autre pour xylophone et en jazz elles ont dû être arrangées par Loussier et d’autres sûrement.

Une fois j’étais dans un jury à Barcelone, pour le prix du Palau, chaque instrument était représenté, piano, violon, violoncelle, clarinette et aussi un accordéon. Et l’accordéoniste a interprété des sonates de Scarlatti ! C’était extraordinaire, il a eu le premier prix.  J’enseigne la musique de chambre à Barcelone et j’ai eu une élève qui joue dans un quintette avec accordéon une œuvre de Piazzolla et c’est une merveille !

Vous parlez beaucoup d’Espagne est-ce votre deuxième pays ?

Il y a des raisons personnelles et il y a le fait qu’on m’a nommé en 2001 professeur  à l’École Supérieure de Catalogne. J’avais envie de quitter Paris, même si cette ville m’est irremplaçable, elle est devenue une ville très agressive, on le sent lorsque l’on vient d’ailleurs, même de province.

Aimez-vous la pédagogie ?

Oui passionnément. Il faut transmettre et quand pendant la Covid je devais faire tous mes cours via internet c’était horrible. Bon c’était mieux que rien, mais j’entendais très mal les étudiants. J’ai beaucoup appris de mes élèves, ils font quelques fois des choses avec leur langage qui me donnent à réfléchir sur ce que je fais. Je ne sais pas si je leur apprends tellement, mais disons que je leur donne les moyens de se questionner et surtout de ne pas m’imiter. Mais il y a une chose où je suis intransigeant c’est avoir le respect total pour  ce qui est écrit sur la partition.

Avez-vous beaucoup enseigné !

Énormément, pas seulement aux conservatoires mais aussi dans des Master Classes. Je n’ai jamais fait une barrière entre l’enseignement et les concerts, je ne peux pas comprendre qu’un artiste qui donne des concerts n’ait pas envie de transmettre à des jeunes ce qu’il fait, de même que je ne peux pas comprendre certains professeurs qui ne jouent pas. Ce sont deux activités complémentaires.

Il y a de très bons pédagogues qui ne sont pas forcément des grands concertistes.

Oui c’est vrai.

À propos d’enseignement parlez-moi de vos premiers rapports avec Yvonne Lefébure

La première fois que je l’ai rencontré j’avais douze ans je crois et j’ai joué la 5ème sonate de Beethoven en entier. À la fin elle regarda mes parents et elle leur dit : « Votre fils est doué, il est magnifique. Mon coco, c’était son expression favorite, on entre au conservatoire dans ma classe » !  Ma mère n’était pas d’accord car un de ses amis, Marcel Beaufils – je l’ai retrouvé quelques années plus tard comme professeur d’esthétique au conservatoire –  lui avait dit qu’un fils de ses amis, musicien, avait terminé veilleur de nuit place des Ternes ! Ma mère est devenue blême et il n’était pas question que j’entre dans cette activité sans avoir un bagage comme on disait à l’époque.  Le mois d’après j’amène la première novelette de Schumann, je l’ai joué vraiment pas bien, je sentais que Madame Lefébure était hors d’elle. Et là elle me dit face à mes parents : « Autant j’étais content mon coco de ta sonate, et là c’est une catastrophe, tu n’as rien compris, et se tournant vers ma mère elle continue « Le petit n’est pas si doué que ça ! Il pourra toujours devenir ingénieur du son ! » Cette phrase m’a poursuivie jusqu’encore aujourd’hui et lorsqu’un élève joue la première novelette de Schumann, je me souviens comment j’étais écrasé par ce qu’elle avait osé dire. Le temps a passé, je suis entré au conservatoire dans sa classe. On peut tuer avec des mots. Le problème de l’enseignement c’est lorsque vous avez un élève qui n’est pas très doué, comment le lui dire ? Vous ne pouvez pas le décourager, on n’a pas le droit et d’un autre côté vous ne pouvez pas lui mentir. C’est un vrai dilemme.

Pour revenir sur le respect de l’œuvre, comment faites-vous avec Bach qui a écrit pour clavecin et vous, vous l’interprétez au piano !

On pourrait en parler pendant des heures. D’abord je n’aime pas les pianistes qui pour bien montrer qu’ils jouent sans pédale, mettent leur pied tout à côté. Jouer ainsi c’est formidable mais c’est aussi ridicule, car lorsque vous jouez la moindre note sur un clavecin, vous entendrez toujours une petite résonnance, parce qu’il n’y a pas d’étouffoir sur les cordes. Bach était habitué à avoir une résonnance, ce qui fait qu’avec parcimonie, il faut mettre un peu de pédale pour aider le legato et garder l’esprit de l’œuvre. Il n’y a rien de plus laid lorsque Bach est sec. Dans sa musique il y a deux choses très importantes. Il y a un sentiment de joie intense. Lorsqu’il écrit un Prélude par exemple il y a une joie comme s’il avait acquis l’existence de Dieu, il faut respecter, croyant ou non, sa foi, il était un grand mystique comme Messiaen. Deuxièmement si ce n’est pas la joie, il y a aussi un sentiment interrogatif, parfois de désespoir. Il y a des moments tragiques, chez lui, toute son œuvre est très religieuse.

Avez-vous un pianiste préféré dans Bach ?

Pour moi un des pianistes les plus merveilleux c’est Edwin Fischer.

J’avoue que je le connaissais plus dans Beethoven, j’ai une grande admiration pour Gulda.

C’est un génie ! Il y a une femme qui était admirable dans Bach, elle est oubliée aujourd’hui, c’était Reine Gianoli, une élève de Cortot, elle arrachait des larmes lorsqu’elle jouait.

Et alors le fameux Glenn Gould ?

Je l’adore, je l’admire. Sur le plan sonore, sur la clarté, c’est la perfection, je ne suis rien à côté de lui, mais j’ose avouer qu’il ne m’émeut pas autant que cette prière que je trouve chez certains interprètes.

Si on parlait de vos origines, car Réach cela doit être amusant la prononciation de votre nom dans les pays anglo-saxos ?

Ma famille vient de Tchécoslovaquie, et mon nom qu’on prononce réac en France devrait se prononcer réharr, comme Barr en Allemand. Effectivement on m’appelle souvent riche alors que je ne le suis pas du tout. C’est ainsi que l’on prononce mon nom dans les pays asiatiques. J’ai laissé tomber l’idée de les faire changer. Ma famille est  juive, quand Hitler est arrivé en Tchécoslovaquie ma famille s’est réfugiée en France et mon père a fait de la résistance. Il a été décoré par le Général De Gaulle et a reçu la nationalité française. Nous n’avons plus de parents en Tchécoslovaquie, ils sont tous morts. Ma grand-mère était Arménienne, elle vivait à Smyrne et au deuxième génocide celui de 1921, elle est partie avec ma mère sous les bras, et s’est réfugiée à Prague où l’attendait la Shoah ! On a eu deux génocides dans ma famille.

Est-ce que cela vous a marqué dans votre interprétation de certaines œuvres.

J’ai eu une enfance en France avec une sorte d’angoisse atavique. Mon père a été arrêté par la Gestapo, il a fait pas mal de choses pendant la guerre et nous avons été baignés par cette ambiance. Je souffre bien sûr de ce qu’on vit en Europe en ce moment. Je sens en moi cette petite fibre, cette angoisse inhérente à ma famille. Alors lorsque je joue je suis tellement heureux que j’oublie tout. J’aime tout ce qui est chaleureux, émotion.

Est-ce alors dans Beethoven que vous mettez toutes vos tripes sur le piano , en vrai romantique ?

J’essaye mais je ne sais pas si j’en ai assez. Tout dépend de ce qu’on appelle romantisme. Chez Beethoven il y a beaucoup d’œuvres qui ne le sont pas. Je crois que dans la personnalité de Beethoven ce qui est le plus fort c’est son côté du défi. Avec sa musique, on doit avoir une exigence de ce qui est écrit, je suis intransigeant avec moi-même là-dessus. Si on analyse ses dernières sonates on est plutôt dans la métaphysique et cette universalité est bien au-delà de tout épanchement de sentiment. Il y a une générosité chez lui, c’est sûr, mais au sens de la grandeur de l’Homme.

Y’a-t-il une seule façon d’aborder Beethoven même si on joue scrupuleusement la partition ?

Je vais faire un aparté. Avec La Covid on s’est retrouvé dans une situation très grave pour nous aussi les artistes. Du jour au lendemain notre gagne-pain avait disparu. À Barcelone nous avions un créneau de sortie qui dépendait de notre âge. Le mien était entre onze heures et midi. Cela ne m’arrangeait pas parce que c’est le moment où je travaille mon piano. Par la radio j’avais appris qu’on pouvait sortir les ordures entre sept heures et huit heures du matin, alors je faisais ma marche matinale avec un sac poubelle en cas où on m’arrêterait !. J’aurais pu tomber dans une sorte de dépression, portant sur mon âge, sur les concerts annulés, peu nombreux, que je devais donner, sur le festival Piano Pic dont je m’occupe qui peut-être ne pourrait plus se faire, les cours du conservatoire je les donnais sur internet, donc à cause de cet enfermement, j’aurais pu sombrer et bien j’ai travaillé énormément les sonates dans l’idée d’en faire une intégrale.

Est que cette situation a eu une incidence sur votre manière d’aborder ces sonates ?

Non, car ce que j’ai vécu était tout le contraire de Beethoven, le confinement pour moi était comme une sorte de punition, alors que Beethoven lui c’est l’homme de la liberté totale. Cet emprisonnement en fait m’a fait travailler beaucoup plus les partitions. On n’obtient rien sans le travail, hélas les seuls étudiants que j’ai qui travaillent vraiment se sont les Asiatiques.

Alors parlons de l’Asie, vous y êtes très apprécié.

On m’a nommé professeur Honoris Causa du conservatoire de Shangaï, aujourd’hui les pianistes chinois travaillent énormément, et ils sont d’une grande humilité face au répertoire.

Et vous là-dedans ?

Moi je les admire, parce que j’ai beaucoup de respect pour les gens qui travaillent, ils ont un alphabet, on en revient encore, qui ont des sonorités différentes et aussi des idéogrammes qui leur donnent une capacité mémorielle assez incroyable. Je pense qu’ils sont plus doués que nous, de plus physiquement ils ont des avantages au niveau des articulations par exemple qui leur permettent de faire sur le plan technique des choses incroyables. Regardez Lang Lang il est époustouflant !

Mais vous dans tout cela ?

Ils me font venir pour faire des Master Classes, mais c’est moi qui devrais étudier avec eux. J’ai eu un élève qui était professeur dans le même conservatoire où je travaille et il m’ a demandé de venir à Barcelone pour faire un master dans ma classe. Il a tout payé et en trois séjours il a obtenu son master. Je pense qu’il y a un grand avenir culturel de l’Asie et que nous avons beaucoup à apprendre de ces gens-là. Lorsque vous écoutez Yuja Wang dans la sonate Hammerklavier donnée à Carnegie Hall, tout est en place, qu’est-ce qu’elle connait de notre culture, c’est par le travail et avec une grande intelligence qu’elle arrive à ces sommets, je trouve cela admirable.

Mais qu’est-ce qu’ils cherchent en vous ?

Ils ont confiance en moi et je leur fais confiance.

Ils doivent aimer la façon dont vous jouez quand même

Je l’espère, je suppose…

C’est de la fausse modestie

Non pas du tout, je vais vous donner un exemple à propos de Wilhem Kempff qui était le tout premier pianiste que j’ai entendu, je devais avoir six ou sept ans, j’avais été très impressionné par le personnage et bien je pense avoir gardé en moi-même cette chance d’avoir entendu cette génération de très grands pianistes, aujourd’hui l’écoute est différente. Emil Gilels est un des grands interprètes de Beethoven.

Des regrets dans votre carrière ?

J’aurai bien aimé être chef d’orchestre. Cela doit être une grande satisfaction de diriger ce si grand répertoire.

Il y a de nombreux pianistes qui viennent à la direction

Il y en a beaucoup qui sous prétexte qu’ils sont musiciens, qu’ils sentent la pulsation, qui se mettent à diriger. Mais cela se travaille.

Pour revenir à la sortie de votre double album comment s’est fait le choix

Alors il y en a six. J’ai enregistré les trois dernières, elles sont étonnantes parce qu’elles sont très différentes les unes aux autres. L’opus 109 a un éclairage un peu poétique, avec une grande espérance, une grande vision, avec beaucoup de générosité, une grande profondeur aussi, l’opus 110 est d’une bonté universelle, très difficile à jouer avec deux fugues, il y a une révolte après un premier mouvement assez paisible, il y a ce deuxième mouvement qui est révolté…

Lorsque que l’on prépare ainsi une intégrale est-ce qu’on lit tout sur la vie du compositeur, ce qu’il a écrit…ou c’est simplement c’est la partition qui vous guide.

Pour moi c’est la partition. Vous savez, les biographies des compositeurs il faut évidemment les connaître. On doit savoir la manière dont ils ont vécu. Avec Beethoven il était sourd, il y a eu le testament Heiligenstadt, etc etc…Il a écrit une des sonates les plus enjouées, les plus heureuses qui soient au moment du testament. Donc d’un côté il disait qu’il avait envie de se donner la mort et de l’autre il écrit les opus 31 dont la troisième est la plus joyeuse qu’il ait composée. Vous savez souvent on entend à la radio des bêtises sur Chopin, qu’il a tant souffert pour écrire sa musique, c’est ridicule de dire cela. On peut écrire des choses tout à fait profondes, étonnantes, exceptionnelles et avoir une vie tout ce qui a de plus ennuyeuse, de même avoir une vie extrêmement agitée, riche, et n’avoir écrit que des banalités. Il y a un écrivain que j’aime beaucoup c’est Haruki Murakami, il dit que la fiction est plus belle que la vie. Les vrais secrets de la vie on les trouvent dans la partition. Chez Beethoven le sommet de sa musique se sont ses quatuors à cordes et vous voyez dans les sonates les quatre parties sont toujours présentes, c’est le quatuor. Il faut s’inspirer de ça plutôt que de savoir qui était l’immortelle bienaimée.  Il paraîtrait que c’était une femme mariée, pas de son milieu social ; il y a quatre femmes aiméesmais personne ne peut savoir qui des quatre !  La sonate à Thérèse, la 24, en deux mouvements est dédiée à son amie la comtesse Thérèse von Brunsvik, je pense que c’est elle ! Mais Badura Skoda n’est pas d’accord, pour lui c’est Bettina Brentano, et puis il y a aussi Giulietta Guicciardi a qui est dédiée la Sonate Clair de Lune, mais on ne pense pas que c’est elle la bien aimée…

Berio m’avait dit un jour : vous croyez que Bach savait qu’il était un musicien baroque, il était un compositeur de musique basta ! Beethoven savait-il qu’il était romantique ?

Sûrement pas ce sont des étiquettes qu’on a inventées. De Debussy par exemple on dit qu’il est impressionniste, cela ne veut rien dire. Pour jouer ses compositions, il faut avoir le plus grand contrôle digital pour les sonorités et sa musique est le contraire d’une impression, c’est d’une très grande précision. Il donne des indications qu’il faut suivre au détail près, sa musique n’est pas une impression mais une évocation. Ravel aussi. Pour les élèves quand on leur parle d’impressionnisme ils pensent qu’il faut jouer flou, mettre beaucoup de pédale, ne pas être précis. Ecoutez Michelangeli, un des plus grands interprètes de Debussy, sa précision sur chaque note est impressionnante. Chopin n’était pas totalement romantique, Rubinstein partait en guerre contre les pianistes qui faisaient des rubatos à tout va, il est très classique, il y a beaucoup de choses qui relient Chopin à Mozart.

Bon on a six sonates avec les opus 31 et l’opus 111 et la ensuite

Il y en aura dix si tout va bien, pour lesquelles je me sens prêt. Je n’aime pas les rafistolages en studio, de faire des bouts à bouts

Comme faisait Gould et comme cela se fait souvent maintenant

Etienne Collard l’ingénieur du son pourrait vous dire qu’il y a eu très peu de montage dans le disque. Donc si tout va bien, j’aurai neuf jours pour enregistrer dix sonates, ce qui n’est pas beaucoup.  Il y aura la toute 1ère, la 4ème qui est une des premières grandes sonates, ensuite la fameuse 7ème avec le largo qui est une splendeur, la Pathétique, la 8ème , la 10ème peu souvent jouée, la 12ème celle de la marche funèbre, très différente de celle de Chopin, la 14ème , la Clair de Lune, la 15ème, la Pastorale, la 23ème Appassionata et la 24 ème à Thérèse. Je les enregistre en juin.

Et là maintenant ?

Je repars à Barcelone et à cause de la pandémie au Brésil, le concours qui devait avoir lieu en avril est annulé car le Carnaval se déroule aussi en avril, il a été retardé bien sûr. Il sera remis en septembre. Ce qui m’arrange pour travailler encore plus les sonates. J’ai un concert en Italie et puis le Festival Piano Pic que j’organise au mois de juillet. Je l’ai créé en 2007 avec un grand ami qui est médecin, Christophe Baillet.

Bon allez encore un B cher Pierre, comme Buena Suerte !

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