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[ENTRETIEN] : RAPHAËL NOVARINA

Le 25 juin 2022, Salle Colonne, nous avons entendu des œuvres d’un étonnant compositeur, Raphaël Novarina, sur les conseils avisés d’Andra Focraud, une attachée de presse en musique à programme, qui nous donne souvent de bons conseils. (voir le compte rendu sur le site du concert le 26 juin 2022). Nous avons été intrigués par le style de sa musique, agréable à l’écoute, en dehors de tous courants actuels en France, où l’Ircam et le Conservatoire National ont apposé leur loi et ont fait des ravages dans la création de la musique contemporaine française. Qui doit imposer une manière de créer ? En peinture, en sculpture, en littérature, au cinéma, au théâtre même, chacun s’exprime en France comme il veut. En musique il y a toujours des diktats. Large d’esprit, vieillecarne.com a voulu en savoir un peu plus sur Raphaël Novarina. La quarantaine, au visage sympathique, architecte de profession, la musique l’a toujours accompagnée dixit le programme du concert. Il nous a reçus dans un appartement où rien ne pouvait nous faire découvrir ses goûts, son style de vie. Il a autoproduit 12 albums de ses compositions pour piano qu’on peut écouter sur toutes les plateformes ! Alors cuisinons-le en prenant un café dans ce lieu si impersonnel…

Quel est votre sculpteur préféré ?

Modigliani

Et votre peintre ?

Bacon

Quand vous aviez 20 ans vous écoutiez quelle sorte de musique ?

Je ne sais pas quoi répondre,

Nirvana ?

C’était vers 12, 13 ans j’étais très triste le jour de sa mort , j’ai beaucoup écouté Radiohead, j’aimais surtout le métal.

C’est-à-dire ?

Roots de Sepultura !

Ah ! Faut le faire !

Et le premier album de Korn, la rythmique est assez extraordinaire. En fait je n’écoute pas beaucoup de musique, parfois je mets de la musique d’ambiance pour réfléc

De la musique easy listening ? 

 Il n’y a pas de règle, je mets de la musique de fond ; lorsque je compose j’en n’écoute pas,  je pense que lorsque l’on commence à écrire on perd la simplicité dans l’écoute.

Vous citez Bacon, c’est un peintre très contemporain, pensez-vous que vos compositions sont d’une certaine époque ? Comment les définiriez-vous ?

Ce qui rapprocherait le plus du style de ma musique, c’est classique contemporain. Lorsque l’on parle de contemporain on pense plutôt à de la musique déconstruite, cette musique ne m’intéresse pas. Je ne dis pas qu’elle ne peut pas être intéressante, mais pour ma part j’essaie toujours de trouver une structure, ma musique est contemporaine. Comme je suis autodidacte et que je n’ai pas été nourri avec les grands classiques, je suis passé par beaucoup d’écoutes de différents styles ; je crois que si ma musique n’était pas contemporaine, elle serait totalement ratée, elle n’aurait aucune signification. Faire du pastiche cela n’a aucun sens. Étant un ancien architecte, je peux apporter par mon parcours chaotique quelque chose avec les outils contemporains que sont l’ordinateur et les séquenceurs.

N’êtes-vous plus architecte ?

En fait j’ai toujours préféré la musique, j’ai composé très jeune, au piano, vers 10 ans, j’ai commencé par la chanson, j’ai enregistré quatre albums, puis j’ai fait un album de jazz.

Écoutait-on de la musique classique dans votre famille ?

Oui beaucoup,  j’en ai écouté, mais surtout étudié, je les ai disséquées surtout grâce à l’ordinateur. Je m’étais fait une playlist de 5000 morceaux de 200 compositeurs et j’écoutais de manière aléatoire. Je suis parti deux mois en Grèce,  et j’écoutais 8 heures par jour cette musique et ce n’était jamais deux fois le même morceau. C’était boulimique, mon but était de reconnaître le compositeur. J’ai commencé à composer essentiellement pour le piano, c’est l’instrument maître. Je ne me voyais pas avec une guitare acoustique à 50 ans continuer à chanter. La seule chose qui m’intéressait dans la musique instrumentale, c’était de progresser, de progresser, à l’infini.

Revenons à vos compositions. Comment travaillez-vous ? 

Avec l’ordinateur, comme en architecture, je travaille par blocs la forme, les couleurs, au grès de ma volonté. Chaque bloc représente un son, des sons, je peux les déplacer c’est un travail de pleins et de vides, j’utilise en fait l’organisation dans l’espace. Ma manière de composer est différente de ce qu’on apprend dans les conservatoires, je fais un travail très visuel, avec un séquenceur ; la longueur de la note va dépendre du bloc, c’est exactement comme une partition sauf que c’est un outil beaucoup plus intéressant que d’être derrière un piano et du papier. Le logiciel vérifie les idées qu’on a, mais il ne compose pas par lui-même.

Vous ne partez jamais d’un thème ?                                                                                     

Si j’ai un thème et que je veux très simplement pouvoir le reproduire à une certaine mesure très précise, je peux voir et entendre le résultat matériellement. Ce mode technologique ouvre des portes extraordinaires.  J’ai composé 130 œuvres pour piano et depuis 3 ans je travaille sur un grand nombre de musiques orchestrales qui vont du duo jusqu’à 30 instruments.

Travaillez-vous sur toutes ces compositions en même temps?

J’aime avoir en permanence un grand nombre de compositions en chantier. Je travaille sur 6 albums orchestraux. Après 12 albums pour piano solo, je devenais fou.

Comment arrivez-vous à ne pas vous mélanger les pinceaux en ayant autant de compositions sur le feu ? Avez-vous les outils nécessaires et suffisants pour pouvoir vous exprimer.

Certaines n’arriveront jamais au bout, mais je les garde quand même. Il y a parfois des accidents, cela m’est arrivé de les conserver, c’est une musique aléatoire pas très préconçue au départ.

Il y a quand même une part de l’inconscient

J’ai eu pour certaines compositions une idée en marchant dans la rue, c’est très artisanal comme méthodologie. La faculté de pouvoir composer part souvent de l’improvisation. Je suis un très mauvais pianiste, mais je n’ai jamais vu un compositeur qui n’est pas capable d’improviser.

Votre musique raconte quand même des histoires

Oui j’aime les histoires,

J’ai entendu à votre concert quelqu’un qui trouvait votre musique très érotique, un autre très dramatique qu’en pensez-vous ?

(silence….) . Je ne vois pas ce que cela veut dire et cela ne m’intéresse pas tellement ; je n’aime pas trop les adjectifs. Ce que je sais c’est que je structure mes journées, mes compositions, avec une envie de progresser .

Progresser ? Que cela veut-il dire pour vous ?

C’est très pragmatique. Il y a quelques années si j’avais une séquence de 10 secondes de composition, il me fallait beaucoup de temps pour trouver la meilleure des possibilités, plus j’avance et plus j’ai la capacité d’analyser plus rapidement la séquence.

Tout cela est bien froid, où est l’émotion là-dedans ?

C’est un autre sujet, là je viens de vous expliquer ma méthode de travail.

Il y a des compositeurs en lisant un poème, ou à partir d’une rencontre, d’un moment de leur vie, ont une idée pour écrire, il n’y a rien qui vous inspire?

Aujourd’hui j’ai trouvé ma méthode de travail, ensuite il y a des phases où je serai plus ou moins content de moi ; il y a quelque chose de réjouissant à composer, après il y aura des phases où je serai moins créatif,  lorsque je marche, j’analyse tout, tout le temps, hélas je perds de la simplicité, de temps en temps il faut être rigoriste.

Il y a un architecte-musicien qui est très célèbre et on fête le centenaire de sa naissance, c’est Xenakis. Tout ce qu’il a écrit est très construit, comme s’il fabriquait un immeuble, ses partitions sont de vrais tableaux. Sa musique est très abstraite…

Mes partitions sont aussi très visuelles, très abstraites, il faut maintenant que je me concentre plus sur la théorie musicale, j’ai des manques de ce côté-là, c’est évident.

Au concert nous avons entendu une œuvre Architecture assez déstructurée, avec une violoncelliste qui avait des traits assez complexes à interpréter, pensez-vous que l’on peut composer pour tous les instruments si on ne les connait pas à fond ? 

Si on sait composer sur piano, on peut écrire pour tous les autres instruments. Au départ, je n’étais pas persuadé que j’étais capable de composer pour plusieurs instruments.

Là vous êtes en train d’écrire pour de grands orchestres

Effectivement mais je pense que cela ne sera jamais joué, il est difficile de trouver un orchestre, déjà 3 musiciens c’est très compliqué.

Il y a des orchestres qui cherchent des compositions originales

Le monde de la musique classique est très fermé, aujourd’hui des interprètes qui jouent de la musique contemporaine ça ne leur rapporte rien pour leur CV.

Détrompez-vous il y des artistes qui ne font que cela ! Je suis sûr que dans des conservatoires ils seraient heureux de jouer vos œuvres.

Avoir organisé ce concert à la Salle Colonne cela m’a pris beaucoup de temps, alors avec un orchestre !

Comment avez-vous trouvé la pianiste Nafis Umerkulova ?

Je l’ai découverte sur YouTube. Je suis un fana de Scriabine et de sa sonate n°4, Nafis a fait un disque magnifique sur ce compositeur ainsi qu’avec des compositions de StanchiskyDarkness Illuminated – je l’ai contacté, elle m’a fait des propositions, c’est une vraie collaboration qui s’est établie et on va l’exploiter.

Vos compositions ont des titres très étranges, par exemple il y en a une qui se nomme Le Feux, y-a-t-il une explication à la présence de ce X ? Des intentions cachées ?

Je n’y suis pour rien en fait ! S’il y en a, je ne vais pas vous les dévoiler si c’est caché (rires)

Il y a une autre œuvre avec une femme qui est capricieuse, Candice

C’est la consonance qui m’a plu, je suis tombé dessus sur internet, je l’ai adoré, mais le titre n’a aucune importance, c’est souvent les auditeurs qui décident du nom d’une composition, je trouve qu’une œuvre est plus puissante sans titre.

Peut-être que Pavane Pour Une Infante Défunte serait moins jouée. Vous dites que vous faites beaucoup de marche, seriez-vous sportif ?

J’ai beaucoup pratiqué le tennis, je suis même classé, aujourd’hui je marche énormément, j’essaie d’avoir un objectif sinon c’est déprimant, il faut se mentir et trouver de fausses raisons pour aller quelque part.

Vivez-vous seul ?

 Joker ! Cela n’a aucun rapport avec la musique!

Je pense le contraire. Cela peut avoir un rapport avec la composition. Chopin sans Sand, Mahler sans Alma, Beethoven sans toutes ses femmes qui l’on fait rêver, Tchaïkovski sans la Von Meck,  ils n’auraient sûrement pas eu le même rapport avec la composition. Avez-vous écrit pour ceux que vous ?

Alors, je garderai cette réponse pour mon amoureuse,

Lui avez-vous écrit une composition ?

Elle sera la seule à connaître la réponse.

Comme vous ne mettez pas de titre cela va lui être compliqué de le deviner !

J’espère

Ce qui est amusant depuis le début de notre entretien, peut-être est-ce un jeu de votre part, vous restez sur votre réserve, vous cachez vos émotions ?

Oui c’est volontaire!

En écoutant vos compositions, qui à mon avis n’ont rien d’érotique, ni de dramatique, je les trouve très romantiques,

C’est valable pour tous les arts….

Quand je regarde les peintures de Bacon je vois plutôt quelqu’un qui a exposé aux regards de tous, ses fantômes les plus intimes, ses problèmes d’alcoolisme, ses problèmes de sexualité.                       

J’ai entendu une interview qui remettait tout cela en cause, il n’y pas de violence dans ses tableaux .

Je n’ai pas parlé de violence, pour lui, l’important pour un peintre c’est de peindre et rien d’autre, je pense que vous êtes pareil, être un compositeur c’est d’écrire de la musique et rien d’autre.

Il y a de la mélancolie …

Seriez-vous un mélancolique ?

C’est très naïf, mais il y a un rapport au temps, au temps qui passe, des intentions comme cela…la mélancolie ce n’est pas forcément triste, par contre contrairement à de la musique instrumentale, une chanson peut me déprimer, …       

Vous avez écrit des chansons, est-ce que ce médium qu’est la voix, vous intéresse ?

La musique instrumentale contrairement à la chanson, n’a pas de limite, elle est d’une telle puissance qu’elle n’a pas besoin de la voix pour l’aider à exister.

En écoutez-vous ? Allez-vous à l’opéra par exemple ?

Je n’écoute pas d’opéra, si quelques fois, en voiture à la radio. Si j’y vais, je vois une très grande force, c’est puissant, mais cela ne m’intéresse pas d’analyser un opéra,

Alors quand pourra-t-on entendre une œuvre orchestrale ?

Écoutez déjà mes compositions pour piano, j’ai finalisé piano 12, Nafis travaille sur deux des sonates, des compositions assez déstructurées qui m’ont assez épuisées, j’ai fait une pause…

Vous avez arrêté votre métier d’architecte, vos musiques on peut les entendre sur des plateformes, comment pouvez-vous vous offrir un appartement comme celui où vous me recevez…

Je le loue en meublé, avec tout ce qu’il faut pour le quotidien, même les tableaux font partie de la location. Je suis architecte de formation comme mon grand-père, mon père. En parallèle de l’architecture, la nuit je me suis amusé à composer de la musique, disons easy listening, des petites compositions de piano de deux à trois minutes, j’en ai produit 7000 qu’on peut écouter en streaming. Ce sont des musiques d’ambiance, pour la relaxation, Elles sont sous des noms différents d’artistes et c’est ce catalogue qui me fait vivre – (pour certains morceaux plus d’un million d’écoutes !).  Je voulais trouver un moyen pour avoir du temps pour composer. En étant architecte il était impossible d’avoir ce temps. Mais c’est bien que cela soit arrivé à un moment où j’ai trouvé ma méthode de travail.

Avez-vous autre chose à déclarer ?

Non ! Je suis content que cela soit terminé !(rires)…Un autre café ?

Avec plaisir !

 

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