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[ENTRETIEN] : Séverine ABHERVÉ

L’agence TraxZone s’est donné pour mission de promouvoir des films (et des images) par la musique, des musiques pour l’image (films, séries TV et téléfilms, jeux vidéo,…), des compositeurs (et autres professionnels du secteur), ainsi que des événements autour des musiques de films (concerts, master-classes, festivals). Séverine Abhervé, experte en musique de film, fondatrice de l’agence est en charge des relations publiques.

©DR

Quand vous est venue l’idée d’écouter de la musique de film ?

Je suis la seule musicienne de ma famille et le premier souvenir de musique de film que j’ai, c’est le générique de fin du Professionnel  (Verneuil-Morricone), je devais avoir sept ou huit ans, j’avais des frissons partout, et à partir de là je n’ai pas décroché ! Cette envolée de l’hélicoptère avec la musique de Morricone, était ma première émotion pour la musique de film.

A cet âge on vous a laissé regarder ce film ?
Arrivée à la fin, je me suis faite gronder

Vous dites que vous êtes musicienne, en quoi l’êtes-vous ?
Je joue du piano, j’ai fait le conservatoire municipal de Fontenay-aux-Roses, j’ai toujours eu envie de travailler dans le milieu de la musique, la musique de film s’est imposée progressivement mais mon premier objectif était de devenir ingénieur du son ; j’ai fait des études puis j’ai travaillé un peu en studio de musique, prise de son, mixage, réalisation de musiques du monde, variétés, j’ai fait l’Ark à Arcueil, j’ai été pendant neuf mois stagiaire au Studio Ferber, la musique de film était toujours présente comme un hobby, ensuite j’ai fait des études de cinéma.

Qu’est-ce que vous écoutiez ?
Cosma, il y avait quand j’étais petite les dessins animés des Mondes Engloutis , puis j’allais voir les adaptations de Pagnol Le Château de ma Mère , La Gloire de mon Père, avec la musique de Cosma
En parallèle de mes études de son à l’EMC de Malakoff, j’ai fait des études de cinéma à la Sorbonne.

C’est là que vous avez fait votre thèse en 2011 ?
Oui, son titre était : « Compositeur de musiques de films dans l’industrie cinématographique française : définition, caractérisation et enjeux d’un métier en mutation »

Sous la direction de qui ?
Sous la direction de Daniel Serceau, professeur d’esthétique de cinéma et de Frédéric Gimello-Mesplomb, qui, lui, est plutôt du côté sociologique de la culture.

Vous avez donc interrogé des compositeurs ?
J’ai fait une grande enquête auprès de la profession, j’ai fait une base de données de la musique à l’image, et j’ai eu plus d’une centaine de réponses à mon questionnaire.

Vous avez deux actualités avec les livres .
« La Musique de film en France » sous la direction de Jérôme Rossi où il y a un extrait de ma thèse, le livre a été préparé il y a longtemps.J’étais en cours d’écriture de ma thèse, « Musiques de films, nouveau enjeux » (Les impressions nouvelles 2014).

Cette thèse vous ne l’avez pas faite tout de suite ?
En faisant mes études de cinéma j’ai vu qu’à la fac on se fichait pas mal de la musique de film ; j’ai voulu montrer qu’il y avait au moins une étudiante qui s’intéressait à la musique de film ! Et du coup on m’a demandé de faire des cours à la fac sur le lien entre le réalisateur et la musique, j’ai commencé à monter des partenariats entre l’université et des conservatoires pour faire travailler ensemble les jeunes compositeurs et réalisateurs. Je donnais aussi des cours sur le droit de la musique. Ces cours qui n’existaient pas auparavant étaient très utiles aux jeunes réalisateurs qui ignorais ce domaine extrêmement important dans le cinéma. cela les à beaucoup aidé, en particulier pour la sélection de leurs Œuvres dans les festivals ! Je montais aussi des partenariats, j’avais cette démarche de créer des contacts entre ces deux univers -la musique et le cinema-, et au fil de mes études de cinéma j’ai rejoint TraxZone, la version en ligne du journal de l’époque, en tant que critique et rédactrice, le site a vécu une dizaine d’années, par ce biais je suis entrée dans le milieu professionnel de la musique de film. J’ai ainsi rencontré l’UCMF à sa naissance et j’ai travaillé pour elle ; on a monté beaucoup d’événements ensemble, je suis passé de la critique au monde professionnel. J’ai retrouvé l’univers de la fac en 2008 car c’est l’année ou les crédits ont manqué aux associations culturelles. Étant au chômage technique, je suis revenue à la recherche et ma thèse en est le résultat.

Vous aviez mis votre thèse en parenthèse ?
C’est exact. D’avoir appris tant de chose à l’UCMF, sur le terrain et ne pas s’en servir !

Quelle est la question de fond de cette thèse ?
Est-ce que la musique de film en France fait partie du cinéma ? Aux Etats Unis elle fait partie de la production du film, en France pas du tout ; j’ai essayé de comprendre pourquoi. Ce qui était étonnant c’est que les compositeurs eux-mêmes n’étaient’ pas à l’unisson sur cette question. On se rend compte que c’est très difficile de fédérer tout ce petit monde dans la même direction, cette activité est très solitaire.

C’est la porte ouverte à tout le monde ?
C’est exact, c’est ce que raconte ma thèse. Ma base de données était de voir combien de compositeurs revenaient dans cette base de données. Les chiffres sont assez révélateurs. Les enquêtes en 2008-2009 montrent que sur 1 633 films, 1 004 compositeurs sont associés à 1 350 films, mais on ne peut pas dire qu’ils soient tous des professionnels de la composition à l’image. Ceux qui ont composé sur une période de neuf ans ne sont que 251. Parmi eux, les moins réguliers ont composé 2 musiques de film et les plus actifs 28. Seule une vingtaine font un film par an ! Il y a de nouveaux compositeurs tous les jours, mais si on fait une enquête dans la rue très peu de personnes vont citer un nom de compositeur français ou alors vraiment des anciens.

Il y a la question de l’appellation dans les génériques.
Un chercheur, Sergio Micelli qui a beaucoup écrit sur l’histoire de la musique et qui est un grand spécialiste de Morricone, explique que la musique de film n’est pas un genre en soi, et qu’on ne peut pas écrire de la musique de film, car le film est quelque chose de très vaste, avec plusieurs sous genres, la musique à l’image est un vecteur de musique qui peut partir dans plusieurs directions, les intitulés sur les génériques sont très curieux, pourquoi les compositeurs arrivent dans la fiche technique  alors qu’ils sont co-auteurs, ils ne sont pas souvent cités à côté du scénariste, c’est négociable dans le contrat mais il y en a peu qui l’exigent. En fait quelle est la place de la musique de film dans le cinéma ? Les journalistes de cinéma n’en parlent pas, le débat est ouvert.

Quel est votre avis sur un prix à Cannes ?
Je trouverai cela normal qu’il y ait un prix comme pour le scénario ; il y a eu des prix au début du festival, en 1946 par exemple pour la Symphonie Pastorale, musique de George Auric.

Cette thèse vous a-t-elle apporté quelque chose ?
Une reconnaissance dans le métier, être docteur en musique dans le département cinéma, c’est une première et c’était important pour moi ; je l’avais arrêtée parce que les compositeurs de l’UCMF sont venus me chercher pour travailler avec eux. Il était très difficile de conserver ce sujet en étant dans le cinéma, cela n’intéressait personne, mon directeur de recherche me conseillait plusieurs fois de m’inscrire ailleurs, en musicologie par exemple, il ne comprenait pas ma démarche. Je ne voyais pas pourquoi je partirai de la fac de cinéma pour parler de musique de film ! Cela prouve qu’il y a un problème dans la représentation de l’enseignement en France !

Vous êtes dans une rubrique sur la musique de film dans une revue musicale, les revues cinématographiques ne s’intéressent pas à la musique pour l’image ?
Très peu, mais d’un autre côté les revues de musique ont du mal à en parler, vous êtes un des rares qui donnent la part belle à la musique de film, en plus dans une revue qui s’appelle l’Education Musicale, c’est vraiment intéressant, c’est une ouverture que beaucoup de média n’ont pas.

Alors qu’est-ce qu’être agent ? On vous appelle ou vous vous bougez pour faire travailler vos compositeurs ?
95% du temps c’est le réalisateur qui amène son compositeur ; quand ce n’est pas le cas, il y a un superviseur musical qui est engagé pour l’aider à choisir ; il y en a une, Varda Kakon, qui apprécie bien le talent de mes compositeurs, elle est très professionnelle et elle choisit toujours le compositeur qui est le mieux pour le film et elle ne place pas ses amis ! Et il y en a d’autres qui sont aussi très compétents. Mais bien sûr il nous arrive, dans l’agence, de faire de la prospection, soit parce que les compositeurs souhaitent travailler sur certains films ou avec certains réalisateurs et nous allons chercher à les mettre en contact, soit parce que de nous-mêmes nous faisons des recherches sur les projets et nous essayons de placer des compositeurs.

On parle surtout du scénario
C’est la spécialité française non? On est encore dans les résonances de la nouvelle vague, avec cet esprit d’auteur unique.

Dans les budgets elle n’apparaît pas ?
Pas tout le temps, alors que le producteur a le droit d’être éditeur de la musique de film depuis les années 80. Le CNC a fait aussi un grand pas en faveur de la musique. La question est de savoir pourquoi le producteur ne prend pas en charge la production de la musique de film, on le voit mal dire au réalisateur débrouille toi pour produire ton film ! C’est quand même la musique de son film ! Il y a un vrai problème de la représentation dans le cinéma français alors qu’il n’y a pas ce problème aux USA ! A travers ma thèse j’ai pu constater que les compositeurs vivaient moins de leur droit d’auteur, qu’il y avait de moins en moins de musique originale dans les films, dans les années 80 on avait 60% de musique originale, aujourd’hui on a à peine 40%. La musique originale est remplacée par de la musique pré-existante. Il y a une esthétique qui est en train de changer. Chez les Américains tout est réglé dès le départ, il y a le département image, le département musique et ça fonctionne ensemble.

Comment peut-on changer cette manière de concevoir la musique ?
C’est un travail de longue haleine, c’est sur quoi l’agence TraxZone essaye de se positionner aujourd’hui, sur la meilleure représentation du compositeur.

Alors parlez moi de l’Agence TraxZone dont vous êtes une des fondatrices avec Arnaud Damien le créateur du magazine du même nom et Gérard Dastugue, en charge du community management et du marketing.
L’Agence n’a rien à voir avec le magazine qui existait, on est plus dans la critique et la promotion de la musique de film, on est dans l’accompagnement, la promotion du compositeur et de la musique, promotion média et vis à vis du public. On est immédiatement connecté aux fans des musiques de film, on se rend compte qu’il y a un vrai public, important, et d’un autre côté on a les compositeurs, mais on a rien entre les deux ; l’idée de l’Agence c’est de faire le pont entre les deux et d’intéresser les médias au fait qu’il y a une vraie résonance à chaque action de musique de film ; TraxZone donne une image du compositeur.

Les jeunes réalisateurs ont-ils plus conscience de l’importance de la musique ?
Oui car aujourd’hui il y a une collaboration dans les écoles avec les compositeurs de la musique pour l’image ; il y a des passerelles entre le Conservatoire et les écoles qu’on rêvait de voir depuis plusieurs années. Dans l’Agence on veut faire comprendre à ces futurs réalisateurs l’importance de la musique originale.

Il y a quand même toujours cette angoisse des réalisateurs face à ce vecteur qu’ils ne peuvent pas maîtriser.
Cette nouvelle génération a la chance de pouvoir avoir accès à toutes les musiques possibles et imaginables grâce à internet, ils ont plus de culture. A partir du moment où un réalisateur sait diriger un acteur, parler avec un directeur de la photo, un créateur de costume il peut aussi dialoguer avec un compositeur, notre angle d’attaque à TraxZone est de montrer au réalisateur qu’il peut diriger son compositeur.

L’Agence en est au tout début ?
Oui, pour l’instant on s’occupe des demandes des compositeurs, à leurs requêtes, on n’est pas un agent, on est dans le conseil, dans l’accompagnement, on a une offre extrêmement large mais on n’a surtout pas la vocation d’être agent ; on est là pour combler les manques de la chaîne de la musique à l’image.

Alors longue vie à TraxZone !

A propos de la thèse :
Cette thèse étudie le métier de compositeur de musiques de films au sein de l’industrie cinématographique française, selon une approche transversale et complémentaire (législation, sociologie du travail, psychologie sociale, économie). La première partie dresse un état des lieux de la profession et caractérise son statut de co-auteur du film (loi 1957). Elle définit les rapports entre le compositeur et l’équipe du film afin de comprendre sa place dans l’industrie cinématographique, et tout particulièrement sa relation avec le réalisateur. La seconde partie présente les résultats d’une enquête réalisée auprès de 109 compositeurs travaillant pour le long-métrage français. Elle permet de définir et de caractériser le métier selon leur opinion. La vitalité de cette activité professionnelle est également mesurée autour de trois dates clefs (1985, 1995 et 2008) afin d’appréhender l’avenir de la profession dans l’industrie cinématographique française. La période analysée, 2000-2008, vise à mesurer la mutation que traverse le métier. Sa représentation est enfin esquissée du point de vue des cinéastes français, de l’industrie cinématographique et des compositeurs eux-mêmes. La troisième et dernière partie aborde l’aspect économique de la profession, ainsi que la politique de soutien au métier de la part des institutions (CNC et SACEM), puis les enjeux d’une formation apprenant au couple réalisateur-compositeur à travailler de concert.

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