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[ENTRETIEN] : ZACHARY WILDER

Après la découverte d’un album sur Dowland et l’avoir entendu sur scène, pour les 20 ans de la Chimera, (voir sur le site les comptes-rendus du 18 mars 2022, du 27 septembre 2021), nous avons eu envie d’en savoir un peu plus sur ce jeune ténor américain, à la voix suave et tendre, une voix faite pour le baroque ou les opéras de Mozart. Elle a la finesse et la sensibilité de la rhétorique du XVIIème et Wilder possède la parfaite connaissance des codes de cette musique.

Je suis étonné que vous appréciez Zappa !

(rires) Oui !

Pourtant, ce n’est pas votre génération ?

Non c’est celle de mes parents, mais c’est par le biais du metteur en scène Antoine Gindt  que je connais depuis des années et qui fait beaucoup de mise en scène sur les œuvres contemporaines. Il m’avait rencontré dans la production d’Armide et m’avait dit qu’il n’était pas très baroque. Il me parla des Kafka Fragments de Kurtag que j’adorais et il me proposa de travailler avec lui en 2011 au Festival d’Aix sur Grâce à mes Yeux d’Oscar Bianchi ; mais en définitif, le rôle a été attribué à un contre-ténor. Quelques années plus tard il m’a parlé de son projet de 200 Motels de Zappa, et j’ai trouvé amusant qu’il me propose ce projet car mon père est dans la musique pop, un musicien Rock and Roll, c’était un retour à mon enfance et c’est comme cela que j’ai joué dans cette production.

Votre père est donc un Rockeur !

Il était compositeur, producteur, il passait ses journées en studio, il a travaillé avec beaucoup d’artistes connus de R&B, de Rock…

©DR

Avez-vous des noms à nous donner ?

Oui comme le groupe No Doubt avec Gwen Stefani, Christina Aguilera… il a écrit la musique de Mulan,

Vous habitiez donc à Los Angeles ?

Oui. Mes parents étaient New Yorkais, deuxième génération américaine, émigration juive russe du côté de mon père, tous musiciens, et du côté de ma mère totalement anglaise.

Des frères, des sœurs ?

Un demi-frère du côté de mon père, il est photographe de mode.

S’appelle-t-il Wilder aussi ?

Oui

Des Wilder il y en a quelques-uns qui sont connus…

Il y a Billy le réalisateur, Gene le comédien, le romancier Thornton, mais on a aucune relation avec eux car mon père a changé son nom ; avant c’était Wiener mais aux Etats-Unis cela veut dire en slang bite ou saucisse et cela fait très juif ! Il l’a changé en Wilder!

Et votre prénom d’où vient-il ?

Mes parents étaient des fans des Beatles et le fils de Ringo s’appelle Zachary d’où mon prénom !

Vous avez commencé alors dans la pop, le jazz ?

Pendant toute mon enfance je trainais dans les studios et puis j’ai fréquenté les écoles de musique, on jouait des comédies musicales…

Et comment passe-t-on de ce genre de musique à celle classique ?

Je m’ennuyais un peu, j’étais très intéressé par la voix, j’ai commencé à prendre des cours de chant à la fin du lycée, vers 17 ans. Mon professeur, Michael Stevens, m’a fait chanter du Mozart, du Vivaldi. Pour me tester, il m’a fait chanter Il mio tesoro de Don Ottavio.

Aviez-vous déjà ce timbre de voix ?

Au départ oui et puis il a pris de l’ampleur, de la couleur, j’étudiais toujours avec mon professeur, plutôt du belcanto et Mozart pour travailler la voix, je suis tenore di gracia, mais rien qu’avec le baroque, c’est 150 ans de musique à chanter, je suis souvent appelé pour la musique du XVIIème que j’adore.

Pour entrer dans la musique baroque aux Etats-Unis comment cela se passe-t-il ? Dès le départ c’est ce genre de répertoire que vous vouliez aborder ?

Je ne connaissais pratiquement rien de la musique baroque. Je suis allé à Eastman School of Music à Rochester, New York,  c’est un conservatoire formidable et la première année j’ai rencontré un petit orchestre baroque de l’école et surtout un vieux monsieur avec une grande barbe et c’était Paul O’Dette le fameux luthiste qui était professeur dans cette école! Il m’a complétement bluffé sur ce qu’il a dit sur la musique en général…

Mais vos parents étaient-ils d’accord pour que vous entriez dans le chant classique ?

Mon père n’avait qu’une peur c’est que je devienne un chanteur pop, car il savait combien c’est compliqué d’exister dans ce monde qu’il connaissait bien et ce n’était pas forcément par le talent qu’on réussissait.

Donc vous avait fait votre master dans cette école et ensuite

Ensuite, je suis parti à Houston, et là il y a une petite école qui ne fait que de l’opéra.

Et comment viviez-vous ?

J’ai été assistant pour les professeurs, je travaillais dans les églises, je chantais aussi, le master n’était pas très cher et j’avais aussi une bourse.

Alors votre séjour à Houston ?

C’est une ville très riche, à cause du pétrole, avec deux opéras, des orchestres symphoniques, deux orchestres baroques

En quelles années sommes-nous ?

Entre 2006 et 2008, un des orchestres s’appelle Mercury Chamber Orchestra, c’est avec lui que je suis venu en France pour chanter Armide. C’était une coproduction entre Huston et Gennevilliers.

Quel rôle faisiez-vous dans Armide ?

Renaud

Au début de notre rencontre vous m’avez dit que vous veniez de chanter une bonne dizaine de fois la Passion selon Saint Mathieu ?

Quatorze fois avec le Nederlandse Bach Vereniging , je chantais les arias.

On retourne à Houston et Paris se profile-t-elle ?

Entre la première année et la deuxième de mon master, j’ai été invité au Festival de Boston pour chanter Psyché de Lully et je faisais beaucoup de petits rôles dans la musique baroque et j’ai eu des propositions très intéressantes.

Vous parlez beaucoup de Lully mais les anglais vous les chantiez ?

Bien sûr avec O’Dette j’ai travaillé Purcell, Dowland

Que disait-on de votre voix ?

Je pense que mes origines de jazz et de pop ont permis à avoir cette manière de chanter, de placer ma voix et d’être sensible aux textes. La musique baroque est très Rock and Roll !

Quelle musique écoutiez-vous quand vous étiez adolescent ?

C’était l’époque Grunge, No Doubt, Smashing Pumpkins…j’adore aussi le rap, The Roots, Missy Eliote…Beyonce c’est magnifique, j’aime beaucoup, c’est une des meilleures chanteuses dans le monde.

Bon quand allez-vous découvrir le monde ?

Après Armide, le Festival d’Aix s’est intéressé à moi, puis j’ai rencontré Leonardo Garcia Alarcon qui m’a invité à faire un opéra à Liège, Ulysse dans l’Île de Circé de Zamponi. Puis j’ai pas mal travaillé avec lui et, pendant que je faisais la reprise d’Acis et Galatée, avec le Festival d’Aix mais à Venise, j’ai envoyé ma candidature pour le Jardin des Voix ; comme je ne pouvais pas me déplacer, j’ai envoyé une vidéo enregistrée à la Fenice avec un continuo. Finalement, ils voulaient me faire auditionner pendant qu’ils faisaient une production à New York, et heureusement je chantais à ce moment dans les Vêpres de Monteverdi montées par Green Mountain Project de Tenet, c’était des Vêpres reconstituées d’après Salve Morale. J’ai chanté pour Christie à Juilliard et j’étais accepté !

On n’est en quelle année ?

En 2012

En dix ans êtes-vous devenu très connu ?

Je crois que je suis respecté dans le métier !

Donc vous pouvez choisir ?

Oui, j’ai la chance de pouvoir le faire

C’est cela être connu non ?

Peut-être, je n’ai pas d’avis là-dessus.

Y’a-t-il des œuvres que vous aimeriez chanter, ou faire connaître ?

Oui j’aimerais chanter un peu plus du XVIIIème, plus de Mozart, je suis très content où je suis, il y a beaucoup de rôles dans le répertoire baroque que je n’ai pas encore abordés, j’aimerais faire un disque de musique américaine contemporaine, Ives, Barber, Amy Beach,

Barber a écrit pour les ténors ?

Pour la plupart des mélodies publiées par Barber, il n’a pas spécifié le type de voix. Mais il a écrit un peu pour tout le monde !

Maintenant vous vivez à Paris, est-ce vraiment mieux d’être ici par rapport à votre métier ?

J’ai un ami contre-ténor américain Reginald Mobley qui a beaucoup travaillé avec Gardiner, il n’a pas aimé Paris parce qu’il n’a pas vu tout ce qui se passe au niveau des spectacles ! Quand il s’est aperçu ce qu’on a en une soirée il était perdu ! Il ne savait plus quoi choisir tant il y avait de bons concerts ! Il a en définitif assisté à plusieurs concerts par jour. La communauté musicale est très importante dans cette ville. Il y a vraiment une belle solidarité entre musiciens.

Avez-vous un agent américain ?

Non français, Les Concerts Parisiens, celui de Jaroussky

Avez-vous travaillé avec lui ?

Peu, mais je vais faire un opéra avec lui en tant que directeur, ce sera à Montpellier, en juin 2023, avec Benjamin Lazare comme metteur en scène.

Vous avez aussi chanté avec ce ténor étonnant Emiliano Gonzalez Toro, dans sa version de l’Orfeo de Monteverdi et puis vous avez chanté tous les deux pour un récital.

Oui je fais un berger dans l’Orfeo et on a fait un concert et un disque A Room of Mirrors

Vous n’avez rien de commun au niveau de vos tessitures

Il y a quelque chose qui nous lie.

Comment l’avez-vous connu ?

On se croisait mais c’était dans les Vêpres que l’on a travaillé ensemble avec Raphaël Pichon en 2019. C’était la première fois que je me suis trouvé en face d’un autre ténor qui partageait la même sensibilité que moi, mais avec une sorte de présence physique impressionnante et qui est totalement en phase avec Monteverdi. Il a les moyens mais aussi les envies d’y aller, comme un italien, de faire quelque chose d’athlétique. Et c’est à ce moment-là qu’on a décidé de travailler ensemble !

Et c’est ainsi que vous avez fait le berger de l’Orfeo.

Ce qui est amusant dans cet opéra c’est que le berger chante plus qu’Eurydice, que Pluton. Emiliano a monté son ensemble et il voulait que j’y participe. J’ai été séduit par l’idée qu’il crée un ensemble dédié à un répertoire méconnu et qu’il songe à le mettre en lumière à travers un duo de ténors. On a dû chercher comment travailler ensemble, on a aussi ce côté nouveau monde, lui Chilien, moi Américain, on a plein de projets, on va faire une tournée à partir de l’enregistrement A Room of Mirrors , aux Etats-Unis, au Canada…

Parlez-moi donc de cet album

On a enregistré des compositions très peu connues, du XVIIème italien, pas de Monteverdi. Il faut à la fois être présent aux mots tout en ne perdant pas de vue la sprezzatura, cette aisance, presque désinvolte, que nécessite cette musique, cette fluidité, ce continuum qu’il ne faut jamais briser et où tout doit paraître facile. Pour cela,  il faut avoir une connaissance parfaite de la rhétorique musicale, du sens de la lettre, et de la langue italienne du XVIIème siècle.

Chanter en Italien est-ce compliqué pour un Américain ?

C’est plus compliqué que le Français, et même que l’Allemand.  Il y a plein de subtilité et il faut avoir un Italien pour bien prononcer cette langue et même qu’il connaisse le chant lyrique. J’ai eu la chance de travailler avec deux professeurs d’italien juste pour la prononciation. Pour le XVIIème on entend tout, il faut savoir si une voyelle est ouverte et fermée, on est obligé de regarder dans le dictionnaire à chaque fois, en Français il y a des règles, c’est plus facile.

Mais lorsque vous êtes arrivé en France, connaissiez-vous notre langue ?

J’ai appris pendant un an le Français à l’Université,

Et aujourd’hui où en êtes-vous dans votre carrière ?

À cause de l’annulation à l’Opéra-Comique, j’ai un long break. C’était un opéra contemporain d’un sino-américain, et l’orchestre chinois n’a pas eu l’autorisation de se déplacer à cause de la Covid et que leur vaccin n’est pas valable en Europe… !

La Covid a dû être dramatique pour vous les chanteurs ?

Je n’avais pas assez d’heures en France donc je ne pouvais pas être intermittent. Je flânais chez moi et j’ai une amie qui a un magasin de teinture de laine. Avec un ami contre-ténor Justin Kim, on lui a proposé de travailler avec elle ! j’ai travaillé neuf mois pour elle !

Avez-vous fait de la teinture ?

Non j’étais plutôt du côté marketing ! C’était dans le 13èmme arrondissement de Paris

Autrefois c’était le quartier des tanneurs à cause de la Bièvre ! Parlons maintenant de ce Dowland qui fait que j’ai voulu vous rencontrer !

C’est Philippe Maillard qui a l’agence où je suis, qui m’a contacté parce qu’il y avait un ténor qui était prévu pour cet album mais pour plusieurs raisons, ils n’ont pas pu faire le disque. Maillard a proposé de le faire avec moi. Je suis allé à Turin, et nous avons enregistré dans une petite église. On était en famille cela a été très facile de faire l’enregistrement.

Vu les images il faisait très froid !

Peut-être que cela a aidé à chanter cette mélancholie de Dowland !

Etes-vous mélancolique ?

Non, je suis très physique, j’ai fait des claquettes, je bougeais beaucoup. Dans le baroque cela sert à avoir cette rythmique, savoir bouger.

Avez-vous appris la danse baroque ?

À Boston un petit peu. Chez nous, on a cet esprit de mélanger la danse, le chant, la comédie. On dit Triple Threat en anglais.

Continuez-vous la teinture entre deux spectacles ?

Pas trop, mais on a créé une couleur avec mon amie, une sorte de gris un peu vert.

Connaissez-vous un chanteur qui se nomme Michel Polnareff ?

Pas du tout.

Il est très connu en France, il a travaillé aux Etats Unis. Il a écrit une chanson qui vous va très bien :

Il n’y a qu’un cheveu sur la tête à Mathieu

Et il n’y a qu’une dent dans la mâchoire à Jean

C’est tout à fait moi (rires énormes) !

Vu le nombre de Mathieu que vous avez chanté et peut-être aussi Jean elle est aussi en rapport à votre calvitie, je vous dédie cette chanson…j’espère que la suite ne vous convient pas parce qu’elle parle de testament…

Non je suis encore jeune pour y penser ! Trop drôle cette chanson, bien trouvé !

Voici tout le texte de la chanson ! À vous de l’apprendre et de la chanter !

Well done ! (rires)… Vous savez, Je vais encore chanter 14 Saint Mathieu l’année prochaine !!!
Allez on fait une photo.  Et plein de beaux concerts et d’albums…

 

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