Hommage à Philippe MOHLITZ (1941-2019)
Fondation Taylor, 1 rue Labruyère, 75009 Paris
Exposition jusqu’au 15 juin 2019
du Mardi au Samedi de 13h à 19h, sauf les jours fériés
La fondation Taylor propose une belle exposition dans ses murs : « Pointe et burin, graveurs de Gascogne ».
On pourra y découvrir 7 artistes Gascons, ainsi que 20 graveurs contemporains, au milieu des deux maîtres, que sont Odilon Redon et Rodolphe Bresdin (Prononcez bien le S de BreSdin(*)….)
(* « bredin» désignait un niais, un bêta, un simple d’esprit. Bresdin insistait donc pour que l’on prononce le S afin d’être pris au sérieux. Une estampe a même été signée Bressdin, avec deux S, afin de mettre l’accent sur la prononciation correcte du nom de l’Artiste. )
Philippe Mohlitz qui a disparu au mois de mars est aussi leur héritier. Gascon lui aussi. On peut admirer une belle série de planches dont la précision, la minutie et la technique n’ont d’égaux que la richesse de son univers poétique.
C’est dans le cadre de cette exposition que s’est tenue samedi 25 mai une conférence animée par Monsieur Maxime Préaud, conservateur du département des estampes de la Bibliothèque Nationale de France, spécialiste, entre autre, de Claude Mellan, de Rodolphe Bresdin, dont il a rédigé un catalogue raisonné de l’œuvre gravée, et graveur lui même.
On lui doit également l’ « Inventaire du fond Français du XVIIème siècle », en huit volumes, qui recense les collections du cabinet des Estampes de la BNF pour cette riche période couvrant les carrières de Claude Mellan ou de Jacques Callot pour n’en citer que quelques uns.
Avant d’aller plus loin, rappelons quelques notions concernant les arts méconnus de l’estampe.
Une estampe est une image obtenue à partir d’une matrice, encrée, et pressée sur une feuille de papier. La matrice peut être une plaque de bois, de cuivre ou de zinc, qui sera gravée, taillée, à l’aide d’outils spécifiques. Elle pourra aussi être une pierre lithographique, qui sera préparée à laide d’un dessin effectué au crayon gras et travaillé de telle sorte que l’encre épousera le trait et la texture voulue, grâce au principe de répulsion entre l’eau et le gras, dont le détail dépasse les limites de notre sujet. Comme pour la sculpture, qui nécessite un moule, l’estampe a besoin d’une matrice. C’est pourquoi il peut y avoir plusieurs exemplaires d’une même image issue de la matrice originelle, comme on peut avoir plusieurs bronzes issus d’un même moule. Ces épreuves ne sont pas des copies, puisqu’elles sont filles directes et désirées d’une même mère. Il est important de garder cela en mémoire pour appréhender cet Art qui a beaucoup souffert d’un malentendu entretenu par des « marchands de reproductions ». Ces derniers se sont mis à employer à tout bout de champ le terme de « litho » pour surévaluer leurs posters améliorés, voués à la décoration d’intérieurs vides…
Baudelaire ou encore Théophile Gautier furent de fervents défenseurs de ces procédés, qui dépassèrent vite leur statut de moyen commode pour diffuser des images d’arts. Ils devinrent les outils d’un mode d’expression à part entière, abouti, dont de nombreux chefs-d’œuvre sont familiers, sans que l’on sache toujours que ce sont des « Eaux fortes », des « Burins », des « Bois gravés » ou encore des « lithographies »…
Tous les grands noms de l’Art moderne ont laissé de magnifiques témoignages de leur talent sur le corps pudique et fragile du papier, autant d’œuvres abouties, « pensées », qui dépassent de beaucoup la beauté et la valeur de nombreux dessins préparatoires, d’ébauches ou d’études, à l’intérêt purement historique.
Ce n’est donc pas, loin sans faut, une sous-section rasante pour spécialistes du dessin qui est intéressante ici. Nous ne nous attarderons pas sur le vilain petit canard des arts graphiques ! Et c’est par bonheur d’un maître du XIXème siècle que Monsieur Maxime Préaud est venu parler ce samedi à la fondation Taylor.
Conférence fort à propos, puisque l’on peut admirer en ces lieux, plusieurs belles épreuves de Rodolphe Bresdin, (1822-1895) telles que « La comédie et la mort » (1854), « Le bon samaritain » (1861), « Le repos en Egypte » (1870)…
Un mot encore sur le protagoniste de cet après-midi studieux, monsieur Préaud. Un mot emprunté à un de ses prédécesseurs, Jean Adhémar, dans la préface à l’exposition rétrospective de 1963 :
« Admiré par Hugo, par Baudelaire, Courbet, Redon, Huysmans, Mallarmé, Rodolphe Bresdin, graveur et dessinateur fantastique de la seconde moitié du XIXème siècle, est une de ces figures attachantes et mystérieuses sur lesquelles se porte périodiquement l’attention…Bresdin est un visionnaire, un solitaire, un amant de la nature, un de nos grands aquafortiste »
C’est par les quelques versets de l’évangile de Luc, où l’on trouve relaté la parabole du Bon Samaritain, que s’ouvrit logiquement la conférence.
« Un homme descendait de Jérusalem
à Jéricho, il tomba sur des bandits qui, l’ayant dépouillé
et roué de coups, s’en allèrent, le laissant à moitié mort. Mais un Samaritain qui était en voyage arrivaprès de l’homme : il le vit et fut pris de pitié. » (Luc, Chapitre 10, 30-37)
Outre les aspects techniques et symboliques de la planche, c’est sous un autre nom que cette lithographie a été présentée au salon de 1861. Les raisons de ce changement sont en lien étroit avec la situation historique de l’époque, puisque Bresdin a choisi d’associer à sa composition le nom d’un Emir, proche du régime du second empire et de la Princesse Mathilde : Abd El Kader. C’est en effet sous le titre : « Abd El Kader secourant un chrétien » que l’Artiste a choisi de présenter ce qu’il avait manifestement conçu comme une vision du Bon Samaritain.
Pour comprendre ce choix, il faut se rappeler les massacres perpétrés à l’époque par les Druses à l’encontre des Chrétiens Maronites de Syrie. L’Emir, en tant que soutien des Français, était fort apprécié. Il est donc probable que Bresdin ait vu dans ce personnage un double contemporain parfait pour illustrer la parabole en plus d’un moyen d’attirer un peu plus l’attention sur son œuvre…Mais non content d’expliquer par le menu l’image, aux détails nombreux, le conférencier a fait un parallèle avec cet autre visionnaire qu’est Philippe Mohlitz. Le lien entre ces artistes apparaît lumineux, grâce à l’opportunité de côtoyer, dans un même lieu, des planches des deux maîtres. Nature grouillante de petits êtres, imbriqués, atmosphère fantastique…
On peut aussi découvrir les 7 autres Gascons de l’exposition : Jean-Pierre David – Michel Estèbe – Blandine Galtier – Olaf Idalie – Charlotte Massip – Jacques Muron – Gérard Trignac, et les vingt artistes exposés à cette occasion. L’avenir nous dira si leur travail, à l’instar de celui de leurs aînés, aura la chance de passer l’épreuve du temps.