Studio 104 – samedi 11 mai 2019 – 15h
Non content de jouer non-stop du piano sur toutes les scènes internationales, Bertrand Chamayou a pris le temps de donner quelques conseils à des talents en devenir du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris.
Pendant plus de trois heures au studio 104 de la Maison de la Radio à Paris, il a écouté très sérieusement, partitions en main, Eve-Melody Salom dans la Fantaisie op.28 de Félix Mendelssohn, Hélène Fouquard dans les Improvisations sur des chants paysans hongrois de Béla Bartók, et John Gade dans Andante Spianato et Grande Polonaise de Frédéric Chopin. Ces trois heureux étudiants ont été choisis après inscription et écoute d’une œuvre qu’ils ont envoyée et interprétée.
Angoissés, tendus, chacun a joué sa partition devant un public attentif. Bertrand Chamayou se souvient du trac qu’il avait lorsqu’il se trouvait dans leur position et avec beaucoup d’élégance, d’humilité, de gentillesse, il a su les mettre à l’aise : c’est là aussi un de ses talents.
Il commence toujours par féliciter l’étudiant, l’étudiante ; l’interprète reprend le morceau, Chamayou laisse jouer quelques mesures, puis petit à petit, assis à côté d’eux, avec beaucoup de doigtés – dans tous les sens du terme – donne des éléments essentiels et sur l’interprétation et sur l’approche technique.
Voila un impromptu pour fauteuil et deux pianistes de mesures réinterprétées auquel on assiste.
C’est plus d’une heure de son temps que Bertrand Chamayou offre ainsi à chaque étudiant. Quelle exigence, quelle concentration de sa part. On est épuisé pour lui.
Il faut être tout prêt des artistes, le nez sur le piano, pour savourer tous ses conseils.
On perd les lignes, on décroche, problèmes d’articulations, raideur dans les doigts, dans le poignet, le bras, manque de soutien, sont quelques réflexions qu’il fait à la jeune Eve-Melody ; puis il lui montre comment articuler sa main, ses doigts, pour appréhender les touches du piano, ainsi que d’autres conseils techniques tout en lui donnant des précisions sur comment interpréter certains passages de la Fantaisie. Comment se souvenir de toutes ses indications.
Bon ! on sent lorsqu’Hélène Fouquard interprète Bartók qu’elle entre dans l’univers de Chamayou. Le geste est capital dans notre univers sonore lui dit-il ; il faut savoir ce qu’on veut raconter; respecter strictement ce qui est écrit et seulement ce qui est écrit, ne donne pas le résultat escompté : ce n’est souvent pas très vivant ; par contre ne pas tenir compte des indications du compositeur n’est pas aussi la bonne solution; il faut bien étudier la partition et essayer de comprendre ce que veut exprimer le musicien ; il faut trouver une sorte de liberté tout en respectant ce qui est écrit, telle est la difficulté de l’interprétation dit-il à Hélène. Pour la technique il est intarissable, de la parole au geste il montre, démontre comment donner du poids au son sans pour autant frapper comme une bête. Ah les problèmes de tempo, là aussi il y a du travail à réaliser à la maison ! C’est un vrai échange qui s’établit entre eux, Hélène Fouquard très à l’aise lui pose des questions, puis tout en chantant les mélodies de Bartók, tente de trouver ce que lui propose le « Maître ». C’est une Masterclasse ne l’oublions pas ; mais Bertrand Chamayou par ces échanges cordiaux nous fait oublier à nous aussi qu’il est le « Maître » : le public passionné. Il y a beaucoup de monde ce samedi dans ce studio où règne un silence attentif. Quelques fois une réaction amusante du « Maître » fait réagir la salle qui rit de bon cœur.
Avec John Gade la relation est totalement différente. Bertrand Chamayou trouve l’interprétation du Chopin très belle : il ne va suggérer que quelques détails à ce jeune pianiste. Il est en dernière année du conservatoire et veut partir loin pour apprendre et encore apprendre auprès de pianistes confirmés. Ils travailleront sur la main gauche pour que la droite ait plus de liberté. Chamayou fera des suggestions mais qui pour lui ne sont que des propositions. Il s’appesantira sur quelques manières de faire des legatos, d’apporter plus de consistance sur certains passages et que le final soit puissant jusqu’au dernier accord, la dernière note et plus encore. Il parlera de cette partition de Chopin qui ne se ressemble pas aux autres (problèmes d’éditions ?). Gade écoutera les conseils et reproduira parfaitement les propositions de Chamayou.
18h30, « le Maître » remercie le public de son attention; c’est nous qui lui sommes redevables de nous offrir gracieusement ainsi une belle et dense leçon de piano, diverse et enrichissante, pour mieux comprendre les difficultés que rencontre à chaque instant ces artistes qui nous enchantent.