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« SALLE CORTOT » : LE TEMPS RETROUVÉ – PIANISSIMES

SALLE CORTOT  

Salle Cortot , 78 Rue Cardinet, 75017 Paris

Le 2 et le 3 décembre 2019

A deux jours d’intervalle un duo – Li-Kung Kuo, violon, Cédric Lorel, piano – et un trio l’Atanassov – Pierre-Kaloyann Atanassov, piano, Perceval Gilles, violon, Sarah Sultan, violoncelle – se sont produits dans cette superbe salle à l’acoustique exceptionnelle.

Reynaldo Hahn : Nocturne pour piano et violon

Claude Debussy : Sonate pour violon et piano

Ernest chausson : Poème op.25

Saint Saëns : Sonate n°1 pour violon et piano n°1 op. 75

                           Caprice d’après l’Etude en forme de Valse op. 52

Avec ce duo, pour la sortie de leur disque intitulé Le temps Retrouvé, nous pénétrons évidemment dans le monde de Marcel Proust, Le temps Retrouvé étant le dernier volume de A la recherche du temps perdu.

Cette salle Cortot, toute en bois, convient parfaitement à l’exercice de ce concert très fin de siècle, comme si nous avions le privilège d’assister au spectacle assis dans le confort d’un salon parisien, juste à côté du fauteuil de Marcel Proust. L’illusion est parfaite, le premier morceau y aide grandement :  Nocturne pour piano et violon de Reynaldo Hahn. Grand mélodiste, il chanta longtemps les airs qu’il composait sur des poèmes de Verlaine, de Baudelaire ou de Théophile Gauthier, avant de revenir à la musique de chambre. Le Nocturne semble être l’application parfaite de ce retour; le violon remplace la voix sur une partition très accompagnante du piano, musique de langueur, musique d’amour. N’oublions pas que Proust et Reynaldo Hahn furent amants pendant plusieurs années. Musique parfaite dans le cadre de ce Temps retrouvé et jouée judicieusement par Li Kung Kuo au violon et Cédric Lorel au piano avec ce sentiment précieux que les interprètes de l’œuvre originale étaient persuadés que cette musique coïncidait parfaitement avec le bonheur apparent mais combien fugace de ces années-là.

Claude Debussy et Proust n’ont jamais été très liés, Une petite jalousie avec Reynaldo Hahn n’y est peut-être pas étrangère, mais Proust considérait jusqu’à ce qu’il ait entendu Pélléas et Mélisande, que Debussy n’était qu’un «révélateur de snobisme».

La sonate de Debussy fait partie des sources qui lui ont servi à bricoler une sonate à partir de plusieurs compositeurs de Wagner à Fauré : la fameuse sonate de Vinteuil, ce morceau qui court tout le long de A la recherche du Temps perdu.

Elle est tellement caractéristique de Debussy, avec ses ruptures rythmiques, ses inflexions impressionnistes (dixit les contemporains de Debussy). Cette sonate qui date de la fin de la vie du compositeur – il était déjà fort malade – marque vraiment le passage du classicisme à un certain symbolisme qu’on qualifiera plus tard de moderne. Aussi les interprètes jouent Debussy comme il doit être joué, sans fioritures, ils respectent l’œuvre, « la mobilité et l’imprévisibilité de la succession des notes en fait une longue transition » écrivait le musicologue belge Harry Albrecht, qui fait qu’on n’a jamais le temps de se plaindre ; Debussy n’a pas fait une musique plaintive, tout au plus mélancolique.

Avec Ernest Chausson et son Poème, malgré le sujet, une adaptation de la nouvelle de Tourgueniev, Le Chant de l’Amour triomphant, la chevauchée a besoin de temps pour s’échauffer et le violon démarre le morceau doucement puis se met à vivre, à s’animer, pour atteindre à une fluidité qui flirte avec l’improvisation ; impression soutenue par le jeu de Li-Kung Kuo. Alors qu’on redoute l’ennui, c’est tout le contraire qui se passe et le jeu des deux musiciens y participe activement.

Belle progression dans la deuxième partie du programme avec la Sonate pour violon et orchestre op. 75 de Camille Saint Saëns. D’emblée le thème captive, il est clair, il est vif, et encore une fois Proust vient à la rescousse, la Sonate de Vinteuil, selon les spécialistes, doit beaucoup à cette composition de Saint Saëns. Proust lui-même y affirme en avoir extrait la fameuse petite phrase sur laquelle il s’extasie : « la petite phrase venait d’apparaître, lointaine, gracieuse, protégée par le long déferlement du rideau transparent, incessant et sonore ». A nous modestes auditeurs et modestes lecteurs de la trouver cette petite phrase.

Quatre mouvements regroupés en deux blocs, la tradition de la sonate est respectée, et vu la chatoyance des thèmes, on applaudit la justesse de Proust qui appelle à la couleur pour décrire la musique. Il invoque l’arc en ciel et toutes les nuances du prisme ; pourquoi ne pas faire comme lui et comparer certaines montées chromatiques à une marche sur un chemin de pierres brûlantes, chemin qui mènera à l’apothéose et le violon plus virtuose que jamais nous y conduit brillamment tandis que le piano arpège comme pour suivre le violon ou lui montrer le chemin selon les moments. Beau duo parfaitement accordé que ce violon et ce piano qui nous ont embarqué pour la vraie grande musique.

Terminons par une belle surprise : Le Caprice d’après l’étude en forme de valse op. 52 de Saint Saëns écrite par Eugène Ysaye qui fut un immense violoniste (1858-1931). Le violon s’y déchaîne en doubles cordes (parfaitement justes) et la difficulté ne va pas en diminuant, sans jamais nuire à la qualité de ce morceau aux accents de bonne mélodie française et populaire, ornée de multiples dentelles qui le font flamboyer jusqu’à la fin, le duo est d’une belle cohérence et dans une telle composition elle est indispensable.

Petit bis pour conclure, un nocturne de Lili Boulanger, petit morceau charmant, il ne pouvait y avoir de meilleure conclusion à ce concert, un peu nostalgique, donné par deux jeunes interprètes qu’il faut aller écouter à tout prix.

Anton Dvorak : Trio n°4 en mi mineur Dumky

Franz Schubert : Notturno en mi bémol majeur

Maurice Ravel :   Trio en la mineur

 Le trio Atanassov a joué trois trios solidement écrits par trois grands compositeurs : Dvoräk, Schubert et Ravel,.

Dvoräk intitule le sien, Dumky, pluriel de dumka qui fait référence aux ballades épiques avant de devenir de petites pièces musicales à la fois sobres et heureuses. Il décrit parfaitement sa démarche : « Il s’agira de petites pièces pour violon, violoncelle et piano. Elles seront à la fois gaies et tristes. Par endroits comme un chant introspectif, ailleurs comme une danse joyeuse, mais dans un style léger, j’oserai même dire populaire avec des moments mélancoliques et des instants de gaieté fulgurante ». La musique se plie parfaitement à ce schéma en se livrant à une alternance de mouvements courts tantôt langoureux tantôt gais, faits d’harmonies proches. L’œuvre en six courts mouvements laisse chaque dumka exprimer librement sa propre ambiance, du drame à la légèreté. L’importance du violoncelle est capitale, tandis que le piano débroussaille le chemin, le violoncelle trace sa voie, reprise sans cesse par le violon qui vient se glisser dans le même sillon et la résultante de ces conjonctions successives, permet à ce trio de s’épanouir jusqu’au final avec des accents bohémiens qui rappellent judicieusement les origines de Dvorak. La sensualité du violoncelle de Sarah Sultan qui ne faillira pas jusqu’à la fin du concert concourt grandement à l’accomplissement du trio.

Le Notturno de Schubert encore appelé Adagio en mi bémol majeur à l’instar des autres trios, commence par quelques accords de harpes joués au piano sur lesquels viennent s’inscrire les doubles croches des cordes. Ce Notturno fut composé initialement par Schubert pour devenir le mouvement lent d’un des grands trios, impression ressentie par le versant à la fois dramatique et gémissant tout en conservant un vrai lyrisme – plusieurs réalisateurs de cinéma se serviront de ces thèmes, dont Stanley Kubrick .

Le violon de Perceval Gilles s’accorde bien avec la sonorité du violoncelle dans les quelques passages d’ensemble très chantants et le piano, comme dans tous les trios de Schubert, soutient la tonalité en la menant doucement mais fermement jusqu’à la fin du morceau.

Maurice Ravel écrivit le trio en la mineur en aout 1914, un mois avant la déclaration de la « grande guerre », alors qu’il était déjà engagé volontaire. L’œuvre ne fut créée qu’en 1915 à la salle Gaveau à Paris sans son auteur alors conducteur de véhicules militaires. Comme dans toutes les pièces de Ravel, la mélodie est très dessinée avec des courbes longues et parfois nerveuses. On disait de Ravel qu’il était « un horloger insensible » mais il n’est qu’à écouter ce trio pour succomber aux charmes et aux subtilités de la composition grâce aux enchaînements d’accords (souvent de septième majeure, la marque de fabrique de Ravel). Et il faut toute la maestria et l’intelligence de la partition pour que les cordes et le piano dépassent cette pseudo insensibilité de Ravel et nous émeuvent sans nous ennuyer. Pari réussi, jusqu’à la fin du trio.

Après une chaleureuse ovation, double bis avec Debussy, belle démonstration de la différence de classicisme entre Debussy et Ravel, un Debussy plus linéaire que Ravel. Une fois encore le Trio Atanassov montre combien ce répertoire lui convient et le sourire de plaisir de la violoncelliste le prouve à la fin de chaque mouvement.

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