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«UN JOUR DE PLUIE À NEW YORK» : AVEC WOODY!

Un Jour de Pluie à New-York 

Film écrit et réalisé par Woody Allen,

avec Thimotée Chalamet, Selena Gomez, Elle Fanning, Jude Law, Cherry Jones.

Sortie le 18 septembre 2019 .

1h32, distribué par Mars film.

http://www.marsfilms.com/film/un-jour-de-pluie-a-new-york/

Il est toujours délicat de parler d’un film de Woody Allen : soit on s’adresse à un public qui le suit depuis plus ou moins longtemps qui a déjà ses repères, ses bonheurs, et ses reproches à son égard, soit on s’adresse au néophyte et on se demande comment intéresser des publics très différents et habitués à des narrations potentiellement très éloignées de notre New Yorkais préféré…

Plus de 50 films réalisés en presqu’autant d’années. C’est quasiment toute l’histoire du cinéma récent qui a été rythmée par son « Woody » annuel. Nombre des ses adeptes auront donc tendance à comparer ce  Rainy Day in New York  avec leur cuvée préférée…Rassurez-vous, Allenophiles, le cru 2019 n’est pas un petit beaujolais.

Si on ne peut être objectif, ni se contenter de raconter la trame des scénarii quand on veut discuter des films d’Allen, le fil conducteur dramatique nous aidera malgré tout à évoquer les raisons d’un enthousiasme renouvelé. Il règne dans ce dernier long-métrage une nostalgie agréable. Comme une mélancolie positive et passagère, vouée à faire éclore un avenir plein de promesses. Mais j’y reviendrai un peu plus tard.

Un jeune étudiant New Yorkais, Gatsby Welles, issu d’une famille aisée, part faire ses études à Yardley, à la campagne, où il rencontre la candide Ashleigh – certain diraient la nunuche Ashleigh-

Elle Fanning dans le rôle d’Ashleigh

Cette dernière, gentille et enthousiaste fille de parvenus de la cambrousse, est reporter pour le journal de son université. C’est à l’occasion de l’interview qu’elle doit mener auprès d’un réalisateur tourmenté par le doute, que les deux étudiants auront l’occasion de faire une petite virée dans la grande pomme. Ce périple, et les hasards de la vie, pousseront le jeune homme à reconsidérer certaines aspirations.

Il va s’en dire que, résumé ainsi, on se demande bien quel intérêt il y a à suivre les errances de ce Piéton de New York, comme l’aurait peut être appelé Léon Paul Fargue, écrivain et grand amoureux de Paris en son temps.(1)

Pour apprécier au mieux ce qui ne serait qu’une gentille bluette impliquant des gosses obscènement privilégiés, il faut avoir à l’esprit que dans les films d’Allen, comme le savent déjà ceux qui le connaissent bien, beaucoup de personnages sont des doubles de l’auteur.

Thimothée Chalamet (Gatsby) et Woody Allen

D’évidence, Gatsby Welles est un double du cinéaste. Son nom de famille même est celui du grand Orson Welles, auteur du génial Citizen Kane entre autres chefs d’œuvres. Mais on sent ses préoccupations percer aussi dans les angoisses de Rolland Pollard, le réalisateur que la candide étudiante d’Arizona est supposée interviewer dans le film. On pourrait penser que ce personnage qui peut sembler caricatural – encore un artiste qui doute et qui picole…- que ce personnage est la cible des flèches moqueuses de ce vieux renard du show bizness et du cinéma qu’est Woody Allen. Mais il me semble que ce serait se fourvoyer. Nous connaissons le respect profond qu’il voue à Ingmar Bergman (2), auteur entre autres de Sonate D’Automne. Le titre du film que réalise Rolland Pollard, et qui le désespère, n’est pas sans évoquer celui de l’ambitieuse œuvre du génie Suédois…quelque chose comme Souvenir d’Hiver … En outre, Allen confie que « Pollard est un perfectionniste qui ne cesse de se remettre en question et considère systématiquement que ses films ne sont pas assez bons…Les artistes comme lui sont les critiques les plus intraitables à leur égard et son même plus sévères vis-à-vis de leurs films que le public »

Non, les flèches taquines sont plutôt destinées aux curieux animaux que sont les comédiens: le latino de service, bellâtre et Dom Juan, qui rappelle le toréador de Le soleil se Lève Aussi d’Hemingway…personnage déjà cité, à l’instar de son auteur, dans Minuit à Paris, et qui est traditionnellement celui avec qui la fille se fait la malle… (3)

 

Elle Fanning(Ashleigh), Liev Schreibe (Sydney Pollard), Jude Law (Ted Davidoff)

Ces stars superficielles fascinent les gentilles étudiantes un peu naïves venues de province au delà d’une quelconque raison artistique…

Pollard semble donc être un autre alter ego de Woody Allen dans ce film.

Deux alter egos, deux âges de la vie. Le double incarnant la jeunesse doute des choix relatifs à son avenir, celui évoquant la maturité n’est pas mieux loti…

D’aucuns diraient que ce jeune Gatsby (le magnifique ?) n’est pas crédible, qu’il est la création d’un vieux schnock d’une autre époque, incapable de saisir l’esprit de son temps.

Il est vrai que tout en lui n’est pas du siècle. Il aime une musique de vieux : Charlie Parker, Irving Berlin…Il aime des films de vieux, il a une coiffure démodée, n’est pas cynique, a des idéaux…et il préfère la pluie, la révolte, la peinture figurative ; en ce sens il est un vrai dandy romantique, un cousin de Lord Byron, de Baudelaire, mais aussi d’Hemingway – dont il emprunte une des boissons favorites, lorsque, déçu par sa dulcinée qui s’est laissée séduire par le latino bellâtre, il ira noyer son spleen naissant dans quelques verres de Martini dry. On pense bien sûr également à F.Scott Fitzgerald ; avec un prénom pareil…

Doit-on y voir la réminiscence des souffrances infligées à Fitzgerald par sa femme Zelda, schizophrène et hystérique? D’autant que l’héroïne de l’adaptation filmique de Gatsby le Magnifique n’est autre que…Mia Farrow, ex femme de Woody Allen, dont on connaît les rapports plus que tendus…

Elle Fanning et Thimothée Chalamet

Ce qui nous amène à un personnage extra diégétique récurrent chez Allen: la musique !

Pour ceux qui ne reconnaissent pas les noms des standards distillés depuis des décennies dans les longs-métrages d’un réalisateur qui est aussi clarinettiste ; rappelons qu’ils sont autant de petits indices, bien que leur identification ne soit pas indispensable à l’adhésion ni à la compréhension du film.

L’idée fut d’ailleurs poussée à son paroxysme dans Tout le Monde Dit I Love You sorti en France en 1997, où une grande partie des dialogues était constituée de chansons classiques américaines, en hommage à la grande comédie musicale. Ici on citera l’emploi par exemple de Misty d’Erroll Garner, dans une version instrumentale dont le titre, qui fait référence à la brume, est tout à fait approprié à la séquence que le thème accompagne. Aussi on rappellera que Gatsby aime les pianos bars des grands hôtels grâce auxquels il savoure autant de madeleines qu’il y a de pages dans les Real Books – Ces encyclopédies de thèmes devenus des standards, que tout musicien de jazz ou de pop se doit de maîtriser au moins en partie…- On signalera également que le jeune étudiant joue lui même du piano, ce qui nous vaudra une jolie scène quand, attendant qu’une amie d’enfance se changeât dans la demeure de ses parents, il profitera de ce court moment pour caresser le piano et entonner l’air de Everything Happens To Me (4)

Pas crédible, pas de son temps ? Pourtant rien n’est plus moderne aujourd’hui que la jeunesse du XIXème siècle. Ces jeunes révoltés, passionnés, qui voulaient refaire le monde, ces enfants des révolutions, ces enfants du siècle parmi lesquels on compte tant de visionnaires.

Gatsby semble donc être en réalité le jeune Woody d’aujourd’hui, c’est à dire tel que lui-même se verrait aujourd’hui. Le Woody intime et pudique, celui de l’âge des rêves et des espoirs. Pollard, quand à lui, ressemblerait au cinéaste des années 80, sujet au doute de tout vrai créateur, tel que Sandy Bates qui apparaît dans Stardust Memories.

Et le film propose de suivre le regard tendre d’un grand-père sur sa propre jeunesse et sa maturité, toutes deux disparues, et qu’il ne peut convoquer, que grâce la puissance de son art, à la force du poète, donc à la pluie.

On a parfois l’impression qu’Allen revit l’expérience de Gustav von Aschenbach, le personnage de Mort à Venise fasciné par la jeunesse de son double symbolique, ce qui emporte le film à mille lieues de la simple et charmante distraction pour jeune fille en fleur…

Parfait, me direz-vous, mais bien qu’il sembla que l’on eût ici tous les ingrédients du film de donzelle, quid d’un quelconque personnage féminin sympathique ? Car pour le moment, la balance penche plutôt clairement du côté d’une certaine empathie masculine…

C’est sans compter sur la mère de Gatsby, incarnée par Cherry Jones. Son beau monologue sincère et lucide est un hommage à toutes les mères, malgré leurs éventuels défauts…(Vous me pardonnerez de ne pas citer ici le « défaut » en question…)

Les amateurs de bonnes répliques auront quand même leur content de one liners, mais pas autant que dans les comédies les plus débridées du cinéaste.

On a ici un film plutôt impressionniste. Les contours importent moins que la lumière et les impressions qui sont échangées entre le sujet et le spectateur.

Selena Gomez (Chan) et Thimothée Chalamet (Gatsby)

Oui la mélancolie peut être une belle émotion. Loin de ne représenter qu’un état dépressif et insatisfait, la mélancolie passagère reconnaît la valeur de ce qui n’est plus, et voit la tristesse liée à la perte comme un témoignage de l’existence de cette chose perdue, un témoignage d’avoir vécu. Elle recèle donc la promesse de son possible retour. Elle revêt ici non plus une souffrance, mais un idéal à atteindre. C’est la réhabilitation du droit au regret, au souvenir et du travail bénéfique pour le surmonter à l’opposé de ce faux épicurisme de bazar, servi par des marchands de frustrations contre laquelle la seule échappatoire reste l’assouvissement d’une inutile pulsion d’achat. Carpe Diem qui nous fait payer la cueillette du bonheur au prix d’un découvert ou d’un crédit; l’acceptation du passé comme un trésor, comme une potion médicinale et non comme une prison ou une source de regrets. La preuve, ces deux assertions que l’on peut lire dans le dossier de presse de Un Jour de Pluie à New York. La première, définissant Gatsby comme étant « un solitaire… il a passé son enfance à écouter des disques dans sa chambre… c’est incontestablement un jeune homme mélancolique. ». La seconde, définissant le film : « …à mes yeux, il est plein d’espoir… j’ai le sentiment que Gatsby finit par se trouver au cours de ce week-end… »

En cela, la nostalgie, la mélancolie, sont proches de la magie, car elles donnent au souvenir une présence quasi palpable. La poésie sauverait-elle ce que la psychanalyse reste impuissante à guérir…? A moins qu’elle ne soit un passeur qui conduit à la sagesse. Il faut réhabiliter la mélancolie ! Ainsi c’est peut être à un film de sagesse auquel notre vieux complice nous convie… C’est pourquoi, aussi improbable que cela puisse sembler, on ne peut ici se passer du happy end. C’est pourquoi, également, le sentiment général qui se dégage du film est un sentiment de joie.

Alors quel ciel mieux qu’un ciel changeant et pluvieux peut représenter l’imminence d’une possible renaissance, et surtout l’arrivée moins banale et monotone que celle d’une immensité sans nuage, l’arrivée promise du merveilleux arc-en-ciel ?

Un grand merci à Isabelle Gibbal-Hardy et au cinéma Le Grand Action pour m’avoir permis de visionner ce film, dans les meilleures conditions possibles, telles qu’offertes par la belle salle Henri Langlois, et entouré de cinéphiles attentifs et respectueux.

 

(1) Léon Paul Fargue (1876-1947) Poète et chroniqueur épris de la capitale, publia le Piéton de Paris en 1939 chez Gallimard.

(2) Ingmar Bergman influença notamment le réalisateur américain dans Interieurs (1978), September(1987) et Une autre Femme (1988), dont les image sont signées Sven Nykvist, chef opérateur de Bergman.

(3) Pedro Romero est un matador avec lequel Brett quittera Pampelune pour Madrid, délaissant ainsi Jake Barnes, dans le livre : Le Soleil Se Lève Aussi d’Ernest Hemingway. Dans Minuit à Paris  (2011), Woody Allen faisait intervenir le personnage de l’auteur de  Paris Est Une Fête, et citait déjà le personnage du torero

(4) I’ve telegraphed and phoned and sent an air mail special too

      Your answer was goodbye and there was even postage due

      I fell in love just once, and then it had to be with you


      Everything happens to me

      Je t’ai appelée, télégraphiée, et même envoyé un courrier

      
Ta réponse fut « adieu », et l’affranchissement à mes frais

       Je n’ai aimé qu’une fois, il a fallu que ce soit toi…

       Tous les ennuis m’arrivent, à moi…

 

 

 

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