Couvent des Récollets
154 Rue du Faubourg Saint-Martin, 75010 Paris
Lundi 17 février 2020, 20h
Récital de Nour Ayadi, piano
Claude Debussy
3 préludes :
Ce qu’a vu le vent d’ouest
Bruyères
Canope
Johannes Boris Borowsky
4 Miniatures :
Game,
Stay,
A different story
Classified
Ludwig van Beethoven
Sonate n°26 op 81 en mi bémol majeur « les Adieux ».
Robert Schumann
Études symphoniques op 13
Au Couvent des Récollets, salle magnifique à la beauté brute et informelle, la jeune marocaine Nour Ayadi interprète un répertoire éclectique qui, partant du contemporain, Johannes Boris Borowsky,
remonte le temps jusqu’au romantisme frénétique de Robert Schumann. Avec trois préludes de Claude Debussy, elle prévient : comme tous les jeunes pianistes écoutés récemment, la haute virtuosité ne l’effraie pas, une virtuosité accompagnée des gestes de circonstances, larges mouvements de bras, mains qui ondulent et balancements de tête signifiant le sentiment qu’elle joue. Le premier prélude Ce qu’a vu le vent d’ouest, souffle la tempête ; Nour Ayadi s’y applique, la frappe violente, lorsqu’elle doit l’être, frise même la confusion des notes surtout lorsque sortent du piano quelques harmoniques imprévues et parasites. Il est vrai que le Yamaha du concert métallise un peu son Debussy et le pousse vers une sonorité un peu sèche. Nour Ayadi tente de tempérer en usant de la pédale forte qui prolonge parfois un peu trop les fins de phrases et les distord légèrement, inconvénient qui se répètera tout au long du concert. Calme après la tempête, les deux préludes suivants portent bien leur nom : sur Les Bruyères et sur Canope souffle un calme ondoyant brisé par quelques accords percutants.
Sans attendre les applaudissements de fin de morceau, la jeune pianiste enchaîne avec 4 Miniatures de Johannes Boris Borowsky. Ce compositeur contemporain, la quarantaine, a été l’élève de Marco Stroppa à l’IRCAM. Avec ces quatre courtes pièces se succèdent le feu et la cendre, ce qui convient parfaitement à Nour Ayadi. Elle avoue les avoir choisies comme musique miroir des préludes de Debussy. Il est vrai qu’un petit air de famille pourrait se déceler dans le rapprochement entre les Préludes et les Miniatures entre la technique de piano et les deux époques, l’une annonçant l’autre. La frappe est toujours aussi précise, même si elle se laisse parfois emporter dans une puissance insoupçonnée.
Sans transition ni soupir, Nour Ayadi enchaîne avec la 26ème sonate de Beethoven, compositeur plus que célébré cette année, alors qu’il ne s’agit que du deux cent-cinquantième anniversaire de la naissance du grand Ludwig. Les trois petites notes du leit motiv introduisent, sans réelle continuité, mais sans brusquerie, le passage périlleux entre le dix-neuvième siècle de Beethoven et le vingtième de Borowsky. Beethoven rend là brillamment hommage à son Prince exilé de Vienne par la guerre de Wagram. Le calme annonce une nouvelle tempête plus passionnée et plus ardente qu’avec Debussy. Ces trois petites notes constituent la trame de la sonate et après quelques mesures, on sent les doigts de la pianiste prêts à se lancer à l’assaut du clavier, son visage s’en approche comme si elle voulait se confier et lui offrir cette chevauchée qui va suivre, qu’elle remporte aisément avec une rare agilité dans le doigté. Mais avec Beethoven comme avec les autres, le danger reste le même, la virtuosité ne doit pas doubler le sentiment et l’étouffer sous un déluge de notes. Heureusement nous y échappons et le dernier mouvement fait éclater l’expression d’une authentique joie, il a été écrit après le retour du Prince. La fédération de Beethoven avec Schumann se fait sans douleur, les deux compositeurs sont contemporains, l’un était fou, l’autre sourd, mais peu importe, ils eurent du génie. Les pianistes adorent jouer Schumann, Les Etudes symphoniques qu’a choisies Nour Ayadi ne sont ni les plus simples ni les plus faciles. Mais brillantes et virtuoses encore une fois. Pas un trait de Schumann sans que la passion ne se cache derrière la porte. Au pianiste de l’entrouvrir pour faire découvrir l’antre fougueuse ou funeste du compositeur. Les Etudes en forme de variations (l’autre titre de l’œuvre), ces treize courtes pièces, font chacune appel à une difficulté technique particulière, et ces variations adoptent un schéma qui passe d’une marche funèbre à un chant triomphal ; ce qui permet à toutes les nuances du jeu pianistique de déployer sa variété. Nour Ayadi en profite largement et sa lecture parfois musclée de la partition s’accorde plutôt bien au style échevelé de Schumann.
Quoi de mieux pour terminer que de lancer un pont, entre les deux époques abordées ce soir, qu’un bis composé par Francis Poulenc ; une douceur ruisselante de bonheur, jolie fin pour achever ce concert donné par une interprète puissante et brillante.
