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« MOLIÈRE 2 » : ÊTRE OU NE PAS ÊTRE NÉ LE 15 JANVIER 1622 ?!!!!

Aujourd’hui le 15 janvier 2022 nous fêtons les 400 ans de la naissance de Molière. Mais  est-ce bien l’année qui convient ? N’avons-nous pas deux ans de retard ?!!  À en croire les premiers biographes du grand homme, suivis par les artistes du XVIIIème siècle, Molière serait né en 1620 !

Jean Baptiste Poquelin de Molière poète comique décédé le 13 (sic) février 1673 âgé de 52 ans. Cette gravure reprend les dates issues de la notice de Charles Perrault.

 C’est aussi ce qu’on lit sur la façade d’un immeuble situé 31 rue du Pont Neuf, dans le quartier des Halles à Paris. (1). La façade du bâtiment est ornée d’une plaque commémorative, elle-même surplombée d’un beau buste et de figures allégoriques et stipule ceci :   «J.-B POQUELIN DE MOLIÈRE. Cette maison a été bâtie sur l’emplacement de celle où il naquit en 1620 ». Cet ornement ne daterait pourtant selon Auguste Vitu,  que du 28 Janvier 1799, et ne peut donc être considéré comme un témoignage fiable, et validé par des contemporains bien informés. (2)

Plaque apposée sur la maison de la rue du Pont neuf ex rue des Tonneliers, avec la plaque erronée.

La Grange, comédien de Molière depuis 1658, se chargea avec Armande Béjart de la publication de ses œuvres complètes, et on lui attribue la préface qui figure dans le premier volume, publié en 1682. Voici ce qu’il écrivit : « En 1673, après avoir réussi dans toutes les pièces qu’il a fait représenter, il donna celle du Malade Imaginaire, par laquelle il a fini sa carrière à l’âge de cinquante-deux ou cinquante-trois ans… »  C’est le document le plus ancien, dont disposèrent les écrivains du XVIIIème siècle pour étayer leurs hypothèses, et il semble indiquer deux choses : Premièrement, que La Grange, l’un des plus proches collaborateurs de Molière, ne connaissait pas précisément sa date de naissance.  Deuxièmement, que celle-ci devait se situer en 1620 pour qu’il mourut à 53 ans, ou 1621 pour que ce fut à 52 ans…On s’arrêta à cette approximation, sans considérer qu’à deux semaines prêt, l’estimation de La Grange était compatible avec la découverte de l’acte de baptême de Molière par Beffara(3) près de 200 ans plus tard !

Gravure de Beauvarlet d’après Sébastien Bourdon, 1773. (iconographie Molieresque N°98 ; Jugée peu ressemblante.

Charles Perrault (1628-1703), plus connu pour ses contes, composa l’un des plus beaux ouvrages du XVIIème siècle, intitulé Les Hommes illustres qui ont paru en France pendant ce siècle à Paris, chez Antoine Dezallier, en 1697. Orné de magnifiques portraits gravés par Edelinck, Lubin ou Nolin, on y trouve une des plus anciennes gravures représentant le grand dramaturge, exécutée d’après le célèbre portrait de Mignard.

Portrait de Molière gravé par Nolin et Edelinck, d’après Mignard, 1697.

Dans ce livre, Perrault nous dit de Molière : « Il mourût le 13 (sic) Février de l’année 1673, âgé de 52 ou 53 ans ».  On voit comme il est facile d’ajouter des petites imprécisions à des erreurs, et les conséquences qu’il en résulte !

Portrait de Grimarest (1659-1713)

En 1705, le très contesté J.L Le Gallois Sieur de Grimarest (1659-1713) publiait une première biographie autonome, et la commençait par ses mots : « M. de Molière se nommait Jean-Baptiste Poquelin ; il estoit fils et petit-fils de Tapissiers, Valets-de-Chambre du Roy Louis XIII. Ils avaoient leut boutique sous les pilliers des halles…sa mère s’appeloit Boudet… ». Mais ne concluez pas trop vite qu’aucune piste concernant la date de naissance ne se cache dans cette biographie : Rappelons-nous que les deux précédentes notices ne donnaient une indication qu’en abordant la mort de Molière…Il faut donc aller à la fin de l’ouvrage de Grimarest pour trouver cette formule « Il mourût le vendredi 17 Février de l’année 1673, âgé de cinquante-trois ans… » Au moins le jour de la mort, cette fois, est-il correct.

La vraie maison natale de Molière, à l’angle du 96 rue Saint-Honoré et de la rue des vieilles étuves, actuelle rue Sauval.

La maison reconstruite sur l’ancienne maison natale de Molière.

 1739 : LA FAUTE À VOLTAIRE ?

30 ans plus tard, Voltaire entamait sa préface des éditions complètes en colportant pas moins de 3 erreurs en 3 lignes :

« Jean-Baptiste Poquelin naquit à Paris en 1620, dans une maison qui subsiste sous le pilier des halles. Son père…et Anne Boutet, sa mère (sic) lui donnèrent une éducation trop conforme à leur état…il resta jusqu’à 14 ans dans leur boutique… »

Outre le sujet qui nous occupe concernant la date du 15 janvier 1622, Voltaire se trompait quant à la maison de naissance du petit Poquelin, (4) Il se trompait aussi au sujet de l’identité de sa mère, et de celle qui l’a élevé ! C’est sans aucun doute un fort bon début ! Il finit en outre sur une critique féroce de Grimarest qui ne manque pas de laisser perplexe eut égard à la gravité des erreurs que nous venons de souligner ! « Non seulement j’ai omis de cette Vie de Molière les contes populaires touchant Chapelle et ses amis ; mais je suis obligé de dire que ces contes, adoptés par Grimarest, sont très faux. ». Voilà qui acheva la réputation du pauvre Grimarest, lequel ne put lutter contre Voltaire en termes de postérité, donc de crédibilité ! On notera pourtant que, si Voltaire se permit de critiquer son prédécesseur, il défendit exactement les mêmes assertions concernant ses origines…

« Le Souper d’Auteuil ». D’après une anecdote contestée mettant en scène Molière, Baron, Chapelle et des invités de marque en 1670.

1821 : LES DÉCOUVERTES DU COMMISSAIRE BEFFARA

D’où vient que l’on fut si surpris quand les documents qui devaient tout remettre en cause furent découvert par Beffara en 1821?  Car enfin, il n’y a plus de doute possible : c’est bien Marie Cressé, que Jean Poquelin a épousée en avril 1621 ! C’est bien elle qui figure sur l’acte de baptême comme mère de l’enfant baptisé le 15 janvier ! Sur ce point, on admit l’erreur. On supposa qu’une confusion avait dû être faite par l’un des témoins de Grimarest, Michel Boyron dit Baron, comédien proche de Molière, mais qui naquit en 1653, bien après les faits. La confusion pourrait venir de ce qu’il y a bien une famille Boudet dans l’entourage des Poquelin ; André Boudet, tapissier, qui devint le beau frère de Molière en épousant en 1651 sa sœur Madeleine (1628-1665).

Michel Boyron, dit Baron, comédien et ami de Molière.

Les défenseurs de la thèse selon laquelle la date du 15 janvier 1622 est erronée se divisèrent en deux camps : ceux qui persistaient à considérer 1620 comme l’année correcte, et ceux qui envisageaient une date inconnue, comprise entre le printemps 1621 et le début de 1622. Dans les deux cas, ils ne se contentèrent ni de l’acte de mariage de Jean Poquelin avec Marie Cressé, ni de l’acte de baptême retrouvé par Beffara et qui atteste qu’un enfant issu de cette union a été baptisé à Sainte Eustache le 15 janvier 1622. D’abord, certain contestèrent l’acte de baptême lui-même, en dénonçant l’imprécision du prénom inscrit. C’est le cas du colonel Soleirol. En effet, sur l’acte, on lit Jean, plutôt que Jean-Baptiste. Pourquoi affirme t’on que c’est ce nourrisson qu’il faut considérer comme étant le grand Molière, et pas son frère, (encore un Jean), né en 1624 ? Et pourquoi ne serait-ce pas un autre enfant, dont on n’aurait pas encore retrouvé la trace dans les divers registres ? D’autres sceptiques prétendirent avoir besoin d’un extrait de naissance, antérieur à l’acte de baptême pour établir précisément la date de naissance du petit Jean. Ils ne nièrent pas que la cérémonie religieuse concernait bien Molière, mais ils considérèrent que ce dernier avait très bien pu naître quelques jours, voire quelques semaines avant, nous amenant en 1621. Cela peut sembler anecdotique, mais comme on l’a vu, les parents s’étant mariés en avril, une telle supposition engendrerait immanquablement deux conséquences incontestables : Soit le jeune Poquelin avait été conçu avant le mariage de ses parents, soit il était né particulièrement en avance, et avait survécu sans couveuse, ce qui à l’époque paraît quand même particulièrement peu probable. En outre les historiens favorables à une date antérieure à 1622 ne sont pas capables de fournir une quelconque preuve pour étayer leur hypothèse,  sinon des témoignages indirects, retranscrits dans des ouvrages tardifs, comme la préface de Voltaire. Revenons-maintenant à cette histoire de prénom, puisque c’est l’argument majeur qui leur permet de douter de la bonne attribution du document dont nous parlons.

JEAN QUI RIT & JEAN QUI PLEURE…

Il faut savoir que la famille Poquelin (2) avait coutume de nommer le premier enfant, Jean et ce depuis plusieurs générations. Ainsi, le grand-père paternel, déjà tapissier, et qui mourut en 1626, se nommait aussi Jean. Son fils, (1595-1669) reprit la charge de tapissier, et porta le même prénom. Il engendra à son tour un Jean, futur Jean-Baptiste, et un autre Jean, frère de Molière, en 1624 et qui décéda en 1660. Alors pourquoi s’appeler Jean-Baptiste si on l’a baptisé sous le prénom de Jean ? L’une des hypothèses avancée est que, lorsqu’en 1624, un autre enfant naquit dans la famille, on distingua les deux frères en appelant le premier né, Jean le baptisé, Jean-Baptiste. On trouvera dans l’inventaire après décès de Marie Cressé, les dénominations « Jean l’ainé, 11 ans, et Jean le jeune, âgé de 8 ans » L’acte de baptême de Jean le jeune a été retrouvé aussi à Sainte Eustache et date du 1 er octobre 1624. (4). Du reste, quel que soit le motif qui fit choisir tel nom d’usage plutôt que tel autre, on découvrit plus tard des pièces qui retracent le parcours de Jean Poquelin le jeune, qui épousa Marie Maillard en 1656, soit 8 ans avant que son frère ne s’unisse à Armande. On sait en outre qu’il exerça la charge de valet du Roi jusqu’à sa mort en 1660, et on retrouva un inventaire, « …dressé après le décès de Jean Poquelin, tapissier et valet de chambre du roi, arrivé le 3 avril 1660, en la maison de l’image Saint-Christophe, sous les piliers des Halles, à la requête de sa veuve, Marie Maillard… ». Si l’on jette un œil sur le contrat de mariage entre Jean-Baptiste Poquelin et Armande Grésinde Claire Elisabeth, signé en 1662, on lit « Du Lundy vingtiesme. Jean-Baptiste Poquelin, fils de sieur Jean Poquelin et de feue Marie Cresé, et Armande Gresinde Bejard, fille de feu Joseph Bejard et de Maris Hervé »

On a ici la preuve que l’un des deux Jean, fils de Marie Cressé est bien devenu Jean-Baptiste. Revenons à présent au jour du baptême, considéré comme le jour de naissance. On doit ici garder à l’esprit deux éléments propres à l’époque : Comme les nouveaux nés risquaient de mourir en couche sans être baptisés, et donc de voir leur âme errer à jamais dans les limbes, on avait l’habitude d’ondoyer ou de baptiser les enfants le plus tôt possible suivant en cela le concile de Sens. Ici, on ne doit pas oublier le contexte de la réforme, et que le baptême était  un sujet de discorde avec les calvinistes ; ainsi on confirma, dans le concile de Trente, que toute personne puisse se substituer au prêtre pour permettre l’ondoiement, cette sorte de baptême d’urgence. Comme le petit Jean fut en principe conçu selon les règles catholiques, c’est à dire après le mariage religieux de ses parents, il serait né avant terme, ce qui renforcerait la nécessité de baptiser au plus vite un petit potentiellement chétif, et qui risquerait de mourir prématurément.

La maison natale étant située à quelques centaines de mètres de l’église de Sainte Eustache, dont le registre nous apprend effectivement le baptême d’un fils Poquelin le 15 Janvier 1622, il est tout à fait logique pour les jeunes parents de ne pas avoir attendu inutilement. En outre, on a constaté qu’il était parfois spécifié une date de naissance sur les actes de baptêmes de cette époque,  mais uniquement quand l’enfant n’était pas baptisé le jour de sa venue au monde. Ainsi, l’acte de baptême du 15 Janvier 1622 a toutes les chances de tenir lieu d’acte de naissance, comme c’était si souvent le cas en ce temps-là. Un ouvrage très spécialisé intitulé « De l’état civil des nouveaux né au regard de l’hygiène, de l’Histoire et de la loi » publié en 1854 par J.N.Loir, analyse la question depuis les temps anciens jusqu’à l’époque moderne. « Avant le règne de François 1er, la grande importance que l’on attachait à l’enregistrement des baptêmes comme acte religieux et comme acte civil est prouvé par les ordonnances de synodes d’Angers de 1505 et 1507…1541, des conciles de trente de 1545 à 1563… » . François 1er, conscient des lacunes et des manques qui caractérisait la rédaction des registres paroissiaux, alla jusqu’à concevoir une ordonnance en aout 1539. « Aussi sera fait registre en forme de preuve des baptêmes, qui contiendront le temps et l’heure de la nativité, et par l’extrait dudit registre,  se pourra prouver le temps de la majorité ou minorité… ». Hélas, dans les faits il fallut attendre la fin du siècle suivant pour qu’apparaissent les précisions souhaitées par le Roi ! Le registre de la paroisse de Sainte Eustache ne faisant apparaître le jour de la naissance que lorsqu’il était antérieur au baptême. Ainsi, il est plus que probable que l’absence d’une autre date sur l’extrait du 15 janvier 1622 indique que le petit Poquelin était né le jour même.

L’église Sainte Eustache depuis les Halles, à la sortie de l’ex rue des Vieilles étuves. ©DR 

CONJECTURES ET THEORIES

Tout ceci ne suffit pas à convaincre de manière définitive les plus sceptiques. Ainsi, Soleirol, auteur de Molière et saTtroupe, en 1858, concluait que « Pour satisfaire les lecteurs qui désirent trouver une opinion arrêtée, voici tout ce que l’on doit croire : comme certain, c’est qu’il était le fils de Jean Poquelin, comme probable, c’est qu’il naquit en 1620 et qu’il se nommait Jean-Baptiste » (page 39). Pour Soleirol, ce sympathique chef de bataillon du génie en retraite, à l’imagination débordante, il y a toujours une hypothèse crédible à trouver pour justifier des faits ne cadrant pas avec sa vision : Puisque le jeune Poquelin était entré au collège en 1635, il était plus crédible qu’il eut 15 ans à ce moment, plutôt que 13, donc, on doit trouver une explication à une naissance antérieure à 1622, et voici son hypothèse : « Si Molière, était né en 1620, de Jean Poquelin et Anne Boudet, que cette dernière fut morte,  que Jean Poquelin se soit ensuite marié à Marie Cressé ; que le premier enfant de son mariage soit mort en nourrice ; que l’on ait substitué au défunt l’enfant naturel, ce que Marie Cressé pouvait accepter sans répugnance : alors Molière devenait un enfant légitime…L’hypothèse que l’on vient de faire est peu probable, mais enfin, rien ne prouve que le fait supposé soit impossible… ». La plupart des théories qui postulent que le grand dramaturge serait né en 1620 ou 1621 tentent de contourner par des suppositions plus ou moins crédibles le principal indice qui doit nous faire adhérer à la date du 15 janvier 1622, l’acte de baptême et les coutumes catholiques du temps !

Portrait de Molière par Adolphe Lalauze, frontispice du livre de Jules Loiseleur. « Les points obscurs de la vie de Molière » publié en 1877.

Jules Loiseleur, dans Les points obscurs de la vie de Molière, postule que la coutume voulait justement qu’on attendit un peu pour baptiser un nouveau-né, afin de gérer au mieux le choix du parrain et de la marraine, et que l’ondoiement suffisait pour garantir la sauvegarde de l’âme d’un nouveau-né. On objectera ceci : La coutume dont Loiseleur parle est décrite dans l’analyse de J.N.Noir que nous venons de citer. Elle s’appliquait selon lui essentiellement aux familles royales. En effet, pour ces dernières, le choix d’un parrain, d’une marraine, des prénoms de l’enfant était un véritable enjeu diplomatique qui justifiait d’attendre un peu! On pourra toujours trouver des cas qui ne confirment pas cette règle, mais on ne bâtît pas une certitude sur des suppositions, des à peu près et des exceptions. Sans tomber dans le culte de la certitude, on peut affirmer aujourd’hui que Jean-Baptiste Poquelin de Molière, baptisé en l’église de Sainte Eustache le 15 Janvier 1622, naquit très vraisemblablement ce même jour, conformément aux recommandations de l’église catholique.

 

(1) Cette rue suit le tracé de l’ancienne rue de la Tonnellerie.

(2) « La maison des Poquelin et la maison de Regnard aux piliers des Halles, 1633-1884 » par Auguste Vitu, paris 1885. Précisons ici qu’une grande partie de la famille écrivait le nom de Poquelin avec un c. Jean, le père, employa les deux orthographes successivement, mais Molière signa toujours J.B.Poquelin sans le c.

(3) « Dissertation sur J.-B POQUELIN-MOLIERE, sur ses ancêtres, l’époque de sa naissance, qui avait été inconnue jusque là… » Par L-F Beffara, ex commissaire de Police du quartier de la Chaussée-d’Antin, Paris 1821. Page 6

Louis François Beffara (1751-1838) communiqua en outre ses recherches à Monsieur Jules Taschereau, qui publia « Histoire de la vie et des ouvrages de Molière » en 1825

(4) Voir « 100 ans de recherches sur Molière » Par Madeleine Jurgens et Elizabeth Maxfield-Miller, Paris 1963,  Document XI, Page 215, initialement publié par Eudore Soulié,  dans « Recherches sur Molière et sa famille », Paris 1863, page 130

 

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