Théâtre des Bouffes du Nord, 37 bis, bd de La Chapelle, 75010 Paris
le 13 mars 2022 de 11h à 19h30
Dans le mot festival il y a le sens de la fête. Piano Piano’s n’est pas qu’une suite de concerts où l’on vient juste en écouter un parce qu’il y a un(e) pianiste connu(e) ou une œuvre qu’on apprécie, c’est un long moment magique ininterrompue – ici deux journées – avec un Monsieur Loyal – Jean-Philippe Wurtz – et son équipe qui nous invitent à déguster de la musique du matin jusqu’au soir – Aux Bouffes du Nord, quelle ironie ! –
Ainsi nous avons assister en fin de matinée à un corps à corps entre une pianiste et son piano, pour terminer en début de soirée par la mort, celle d’Isolde de Wagner vu à travers Liszt et Barraqué sous les doigts agiles de Jean-Pierre Collot.
Au cours de cette nourriture culturelle et haut combien succulente, le Steinway a été préparé, désaccordé, greffé, les pianistes se sont déchaînés, l’ont cogné, l’ont quitté le temps d’un accord, s’y sont endormis…ont joué debout, couché, ont dansé…C’était ce 13 mars 2022 le festival de l’humeur sentimentale et vagabonde, de l’imagination, de la création tous azimuts ! Oui il fallait être présent toute la journée pour humer les parfums étranges et mystérieux de ce que proposait ce deuxième festival Piano Piano’s.
© Alexandre Jacquy-Royaumont
Entre les deux morts c’est une œuvre culte connue pour ses silences et sa longueur, la sonate de Barraqué qu’a interprété Jean-Pierre Collot, un spécialiste de ce compositeur. Un moment intense, fiévreux, pour qu’arrive la nuit sur le pavé mouillé du boulevard de La Chapelle.
© Alexandre Jacquy-Royaumont
Nous avons entendu, apprécié, un autre compositeur phare du piano, Stockhausen – Klavierstück IX, XI – entre les mains énergiques, éblouissantes de la jeune Claudia Chan. Mais ce qui était le plus passionnant c’était les découvertes.
Ainsi Restare non ha luogo œuvre d’un jeune compositeur italien talentueux, Simone Cardini. C’est une commande de La Bibliothèque de Grange-Fleuret organisatrice avec Royaumont du Festival. Un œuvre lyrique de belle facture.
© Alexandre Jacquy-Royaumont
Dans le menu proposé par Claudia Chan une pièce étrange, créée pour le Festival de Royaumont 2019 de Huihui Cheng. Un piano droit déshabillé et que l’interprète a fait vibrer grâce à des fils accrochés aux cordes. Un piano costumé telle est l’appellation qu’a donnée la compositrice. L’exercice de la pianiste était assez amusant, digne d’un numéro de cirque.
La musique qu’elle arrivait à extraire par le biais de ces fils, n’était pas très convaincante, mais l’exercice était assez étonnant.
Le tour de force de cette journée, pleine de surprises, était une sorte de récital offert par Maroussia Gentet avec des musiques allant de Debussy à Bastien David. Elle passait avec une aisance stupéfiante d’un Steinway pour les compostions contemporaines – courte œuvre de Bastien David, lyrique de Gérard Pesson, impressionnante et chaotique d’Hector Parra, burlesque et fantasque de Philippe Schoeller –
à un Pleyel de 1905 pour quelques Images du deuxième cahier de Debussy
et un quatre mains avec le conte musical de Ravel : Ma Mère l’Oye. Elle avait pour partenaire Claudine Simon.
© Alexandre Jacquy-Royaumont
C’est un autre conte que cette dernière nous a invités à assister le matin, au début du festival.
Un piano Steinway occupait la scène truffée d’électroniques, de gadgets de toutes sortes. Pendant cinquante minutes nous avons vu un véritable spectacle, impressionnant par la dramaturgie et la performance de la pianiste. Pianomachine tel est le nom de ce conte assez dramatique à nos yeux.
Il a été inventé par Claudine Simon et Vivien Trelcat. Dans la brochure Simon nous explique : « Le corps à corps, c’est par nature aussi bien celui d’une lutte que celui du désir, de la sensualité et du plaisir, l’union des amants. C’est celui qui relie les machines et les hommes depuis des siècles ». Bigre nous étions dans une performance en direct d’un scénario qui n’aurait pas déplu à David Cronenberg ce réalisateur passionné par les rapports entre l’humain et la technologie – Crash, eXistenZ, vidéodrome…-
Est-ce que je me suis fait mon propre scénario à la vision de son spectacle ? Je suis donc allé rencontrer l’artiste après avoir attendu plus d’une demi-heure pour qu’elle aide toute l’équipe à redonner son corps original au Steinway. Elle m’a gentiment accordé quelques minutes après cette éprouvante performance…
Est-ce un rapport sadomasochiste avec le piano que vous nous racontez avec cette performance et à la lecture de ce que vous dites sur le programme ?
Pas du tout j’aime énormément mon instrument, l’histoire que j’ai avec lui n’a rien voir avec le sadomasochisme
Mais dans les rapports sadomasochistes, il y a de l’amour aussi. À la fin de votre performance après tout ce que vous lui faite subir, vous revenez vers les fondamentaux, la musique romantique et alors votre piano répond via des sons électromagnétiques qui repartent de plus belle et vous vous effondrez, les pieds sur le clavier, comme morte !
© Alexandre Jacquy-Royaumont
Ce n’est pas ma perception, c’est la bascule entre les mondes de la musique classique, ceux qui m’ont formés, Schumann, Fauré, c’est une bascule qui fait partie de mon itinéraire de musicienne, très classique, et qui a envie de se promener vers la musique expérimentale, c’est un point charnière dans mon parcours.
Vous arrivez tout en blanc, lui est noir, le jour et la nuit, l’ombre et la lumière, le bien et le mal, toute une symbolique pour nous, spectateur.
C’est plutôt sortir des codes du récital, ma tenue est celle d’une mécanicienne blanche, une façon de détourner ce qui est préconçue.
Dans les années 60 il y a eu un mouvement Flexus qui détournait déjà les codes, il y a les performances de Piano Burning d’Annea Lockwood qui brûle le piano ou de Danila Bolshakov en jouant du Max Richter…
J’essaye de m’inscrire dans la mouvance des gens qui essayent de détourner les représentations des récitals…
Vous vous ne faites pas un concert mais une performance, est-ce que vous pourriez la faire à Gaveau, à la Philharmonie… ?
On pourrait ouvrir les salles a des musiques plus expérimentales, pourquoi pas !
Vous avez permis à des enfants d’approcher votre installation et ils se sont servis de vos maillets pour taper sur les cordes, vous avez peut-être influencé une génération qui va taper sur leur piano…
Je ne pense pas, c’était plutôt de leur montrer un terrain de jeu…
Cette présence des enfants c’était votre idée?
Non on nous l’a proposée, c’était une bonne idée, comme une sorte de transmission.
Il se dégage beaucoup d’émotions dans ce que vous faites, vous arrivez quand même avec un maillet, ce n’est pas un signe de paix ! Il y a un rapport de force est-ce que vous en êtes consciente ?
© Alexandre Jacquy-Royaumont
C’est juste un sentiment de défiance par rapport à cet instrument, mais c’est un acte d’amour avec lui , quand vous commencez à cinq ans avec le piano et que vous continuez à le pratiquer encore aujourd’hui, c’est une belle histoire sentimentale.
J’y ai vu aussi de l’humour. Au début lorsque vous arrivez avec votre maillet, il y a un petit maillet sur le piano qui se met à bouger, comme pour vous défier. Lorsqu’ une voix hors champs parle de la main comme un instrument à ce moment-là vous mettez vos pieds sur le clavier. Il y a une dramaturgie évidente, très précise, mais au niveau de la musique y-a-t-il de l’improvisation ?
Oui car avec l’électronique il faut être très précis mais dans ce cadre je peux improviser.
Est-ce que vous avez joué souvent cette performance ?
C’est la cinquième fois, mais le projet peut évoluer.
Il y a quelqu’un d’aussi important que vous, mais dans l’ombre, c’est Vivien Trelcat, il s’occupe de toute la partie informatique, l’électromagnétique,
Oui c’est un quatre mains que l’on fait, il est musicien et réalisateur en informatique musicale, il est très important dans notre projet.
Combien de temps pour mettre au point cette aventure ?
Une bonne année !
Avez-vous d’autre projets ?
Oui un duo, formule concert, avec Vivien Trelcat sur scène.
On a l’impression que vous aimez jouer la comédie ?
Oui beaucoup, j’aime jouer sur ces frontières, même si je ne suis pas comédienne, j’aime mélanger le théâtre, la musique, la danse, prendre la parole.
Votre gestuelle est très belle, très précise, est-ce que ce spectacle vous permet de revenir vers les fondamentaux avec une autre approche, de Ravel par exemple et les contes de Ma Mère L’Oye…
C’est une manière de se rafraîchir et d’y retourner avec plaisir.
Ayant quitté sa combinaison, Claudine Simon a rejoint son équipe dans un café populaire, de l’autre côté des Bouffes du Nord. Je l’ai vu entrer avec son sourire avenant, étrangement le morceau de musique qu’on entendait était le superbe air de Duke Ellington In the Sentimental Mood interprété par le Duke et Coltrane. Oui le Festival Piano Piano’s est d’humeur sentimentale ! Allors à ce soir pour écouter Alain Planès, Ralph van Raat dans le Dialogue Haydn / Ligeti à 20h30.
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